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Hakim Bey

L’influence du Chaos chez Hakim Bey

Michael Szul

Le Da Vinci Code de Dan Brown a sorti le mystère de la religion gnostique hors des ombres de la pensée contemporaine occulte et spirituelle afin de le faire apparaître sous un jour qui a été inimaginable pendant des siècles. Mais, en dépit de son état actuel en tant que pop culture, de discussion de salon, le Gnosticisme a influencé silencieusement de nombreux mouvements underground de l’occulture contemporaine ainsi que des groupes de la contre-culture comme la Magie du Chaos et tout particulièrement l’un de ses représentants : Hakim Bey.

Hakim Bey ouvre sa TAZ par la proclamation que le « Chaos n’est jamais mort ! » (1991). Il parle de l’unicité de l’être primordiale et indifférenciée. Dans le Gnosticisme, on appelle cela le « Plérôme » ou le « vide plein », un état d’infinies possibilités et néant tout ensemble, un état non-état très singulier. Ceci est la source première de tout dogme gnostique et, avec l’influence des philosophes grecs sur la Gnose, on peut facilement imaginer que le plérôme gnostique est synonyme du « chaos » grec dont est issu le monde.

En lisant les passages qui suivent, l’on pourra mieux appréhender l’influence gnostique sous la plume de Bey tandis que celui-ci tend un index anarchiste vers « l’establishment » :

« Non, écoutez, voilà ce qui s’est passé : ils vous ont menti, vendu les idées du bien & du mal, dégoûté de votre corps & rendu honteux de votre prophétie du chaos ; ils ont inventé des mots de dégoût pour votre amour moléculaire, hypnotisé votre inattention ; ils vous ont ennuyé avec la civilisation & toutes ces émotions usuraires ».

Dans « Vagabondage Sans But », Hakim Bey utilise la théorie scientifique du chaos & la rhétorique philosophique taoïste afin d’analyser les problèmes du langage – un langage qui vous a été donné par « eux » – tel qu’il fut critiqué dans les anciens temps par la légende taoïste Chuang Tzu. Bey a apporté la « linguistique du chaos » à cause de cela, ce qui, à son tour, a donné naissance à la « poétique anarchiste ». Chuang Tzu, bien sûr, a proposé une critique du langage qui fut très influente sur le dégoût des mots de la contre-culture moderne, à la manière dont l’anarchisme de Bey influence l’idéologie révolutionnaire de la contre-culture.

« Si l’on met de côté cet index accusateur – le « ils » – en n’essayant pas d’imaginer qui pourrait être le véritable géniteur, il devient alors assez clair que cet « establishment » de Bey n’est pas nécessairement le gouvernement. Mais, elle ressemble à l’ordre dans son sens le plus corrompu. Le corps-papier gouvernemental poussant les légistes n’est qu’une manifestation que cet essai de l’ordre a mal tourné. La source originelle de ces éleveurs de fourmis négligents et affamés de pouvoir se retrouve dans le concept gnostique des Archontes.

Dans la tradition Gnostique, le Plérôme a donné naissance à Sophia qui, à son tour, engendra les Archontes – des rois jaloux de la capacité de leur mère à créer. De dépit, ces Archontes créèrent un univers dans lequel ils s’arrogèrent le rôle de dieux. Cependant, cet univers de dieux imparfaits (dans lequel nous vivons) est cruel et défectueux. La majeure partie de l’histoire et de la littérature gnostique se réfère aux injustices de ce monde cruel.

Ces Archontes ont établi un faux ordre – un voile d’injustice et de souffrance qui, au premier regard, semble démocratique, socialement ordonné. En vérité cependant, tout cela n’est que sucreries destinées à nous distraire de la cruauté et des mensonges de ce bas monde. Ils rendent nos actions passives, imaginaires même, tandis que ces esclavagistes d’Archontes sucent la vie de nos moindres peines  ».

Dans « Sorcellerie », Hakim Bey soulève le problème de l’action réelle en opposition à cette action imaginaire en essayant de déchirer le voile de l’ignorance devant les yeux de la contre-culture qui refuse d’en accepter l’existence :

« L’univers veut que vous jouiez. Ceux qui refusent à cause de leur avidité spirituelle & choisissent la pure contemplation renoncent à leur humanité – ceux qui se modèlent des masques aveugles d’Idées & qui dénigrent tout, recherchant leur propre fin tangible en regardant au travers des yeux de cadavres ».

Bey attaque avec justesse ces théoriciens dont le seul but dans la vie est de lire et de lire et de lire mais qui n’agissent jamais. Il tire sur tous ceux qui échouent à intégrer leur illumination « spirituelle » dans le monde matériel qui représente notre réalité présente, en allant jusqu’à critiquer la magie comme n’étant que fumée & miroir si elle n’est pas utilisée de manière appropriée :

« Non, pas de petites cuillères tordues ou d’horoscope, pas de Golden Dawn ou de fantaisie shamanique, pas de projection astrale ou de messe satanique – si c’est du charabia que vous voulez alors allez chercher des choses réelles, la banque, la politique, la science sociale – pas cette merdasse blavatskienne ».

Bey veut éveiller les endormeurs de la civilisation. Il veut renverser leurs fantaisies à peine voilées et écraser leur dogmatisme. Il promeut l’action et l’expérience dans le monde réel.

De manière identique, le gnosticisme promeut son propre éveil, appelé Gnose, une expérience subjective de la « relation qui sait » avec la divinité. Les gnostiques tiennent fortement à la croyance que l’on doive personnellement expérimenter cette expérience et ne pas se reposer sur l’intervention ou sur les instructions d’une tierce personne, afin de déchirer le voile et de voir le monde sous sa propre lumière.

Cette gnose, cette illumination, est l’état divin de l’esprit. On se réfère à la même Gnose dans la Magie du Chaos pour cet état dans lequel la magie entre en jeu, opère.

L’influence de Hakim Bey sur la Magie du Chaos et sur la contre-culture de l’éveil est indéniable ; mais, en dépit de sa forte ascendance islamique et arabe, Bey offre un ton assez distinct à son œuvre qui est assez proche de celui d’un Philip K. Dick.

Ce sont les comics de Grant Morrison qui ont amené la Magie du Chaos dans la pop culture et la pop culture dans le chaos ; mais, à présent, si les magiciens du Chaos veulent pousser plus avant leurs racines et dépasser le strass contre-culture d’un mouvement arriviste à la mode, ils doivent regarder vers l’influence d’écrivains tels que Morrison, Bey, Peter Carroll et Austin Osman Spare. Et le Gnosticisme (considérant sa puissante influence sur Matrix, Philip K. Dick, H.P. Lovecraft etc.) semble ne pas être un si mauvais endroit où commencer.

L’influence du Chaos chez Hakim Bey, Szul. Traduction française par Spartakus FreeMann, mai 2009 e.v. Paru dans le Konton Magazine volume 2, numéro 3 (équinoxe d’automne).

Illustration : Chaos, image extraite du site Angelfires Arts Graphiques.

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