Catégories
Art, Poésie et divers

La méthode du cut-up de William S. Burroughs

Par William S. Burroughs

Cet article, publié avec l’aimable autorisation de son traducteur, T.O., est originellement paru sur le site : William S. Burroughs.

La méthode est simple. Voici une manière de l’appliquer. Prenez une page. Comme celle-ci. Maintenant coupez-la au milieu. Vous avez quatre sections : 1 2 3 4… un deux trois quatre. Maintenant réarrangez les sections en plaçant la section quatre avec la section une et la section deux avec la section trois. Et vous voilà avec une nouvelle page. Parfois la signification est presque la même. Parfois c’est quelque chose de différent—découper les discours politiques est un exercice intéressant—, dans tous les cas vous vous rendrez compte que ça veut dire quelque chose, et quelque chose de bien défini. Prenez n’importe quel poète ou écrivains que vous aimez. Ou des poèmes que vous n’arrêtez pas de relire. Les mots ont perdu de leur sens et de leur vie à travers des années de répétition. Maintenant prenez le poème et tapez des passages que vous avez sélectionnés. Remplissez une page d’extraits. Maintenant coupez la page. Vous voilà avec un nouveau poème. Autant de poèmes que vous désirez. Autant de poèmes de Shakespeare et de Rimbaud que vous le désirez. Tristan Tzara a dit : « La poésie est pour tout le monde ». Et André Breton l’a appelé un flic et l’a expulsé du mouvement. Redites le encore : « La poésie est pour tout le monde ». La poésie est un endroit où vous êtes libre de découper Rimbaud et de vous retrouver à la place de Rimbaud. Voici le cut-up d’un poème de Rimbaud :

Visite de souvenirs. Seule ta danse et ta voix hébergent. Sur l’air de banlieue des abandons improbables… tout pin harmonique pour querelle.

Les grands cieux sont ouverts. Sincérité de vapeur et tente crachant sang rire et pénitence saoule.

Une promenade au parfum de vin ouvre une bouteille lente.

Les grands cieux sont ouverts. Un clairon suprême la chair brûlante des enfants à embuer.

Les cut-ups sont pour tout le monde. Tout le monde peut en faire. C’est expérimental dans le sens où il faut le pratiquer. Tout de suite et ici. Ce n’est pas quelque chose dont il faut parler ou débattre. Les philosophes grecs supposaient de façon logique qu’un objet deux fois plus lourd qu’un autre tomberait deux fois plus vite. Ça ne leur est pas venu à l’esprit de pousser les deux objets hors de la table. Shakespeare Rimbaud vivent dans leurs mots. Coupez les lignes de mots et vous entendrez leurs voix. Les cut-ups sont souvent des messages codés que seul le coupeur comprend. Du spiritisme ? Peut-être. Certainement une amélioration des moyens déplorables habituellement utilisés qui consistent à contacter des poètes à l’aide d’un médium. Rimbaud s’annonce, pour être suivi par de la poésie atrocement mauvaise. Coupez les mots de Rimbaud et vous êtes assuré d’avoir au moins en face de vous de la bonne poésie, voire une apparition personnelle.

Tout fait d’écrire est en fait du cut-up. Un collage de mots lus entendus intentionnellement ou malgré vous. Quoi d’autre ? L’utilisation de ciseaux rend le processus explicite et sujet à des extensions et à des variations. De la prose classique et claire peut être entièrement composé à partir de cut-ups réarrangés. Le fait de couper et de réarranger une page de mots écrits introduit une nouvelle dimension dans l’écriture permettant à l’auteur de faire des images une variation cinématographique. Les images changent de sens sous les ciseaux d’images d’odeur on passe à une vue sonore un son sonore pour arriver à du cinésthétique. C’est dans cette direction qu’allait Rimbaud avec ses voyelles de couleurs. Et son « dérangement systématique des sens ». L’endroit de l’hallucination à la Mescaline : de voir des couleurs de goûter à des sons de sentir des formes.

La méthode du cut-up offre aux écrivains le collage que les peintres utilisent depuis soixante-dix ans. Les caméras et les appareils photos aussi. En fait les facteurs imprévisibles des passants et de la juxtaposition font de tous les plans de rue dans les films et sur des photos des cut-ups. Et les photographes vous diront souvent que leurs meilleurs clichés sont des accidents… les écrivains vous diront la même chose. Les meilleurs écrits semblent être faits par accident, mais les écrivains avant que la méthode des cut-ups soit rendue explicite—tout écrit est en fait un cut-up ; Je reviendrai à ce point—n’avaient aucune manière de produire l’accident de la spontanéité. Vous ne pouvez pas vouloir la spontanéité. Mais vous pouvez introduire l’imprévisibilité et la spontanéité avec une paire de ciseaux.

La méthode du cut-up de William S. Burroughs, traduction par T.O. pour le site William S. Burroughs.

lllustration : William S. Burroughs, par Christiaan Tonnis, 2006. Licence CC.

Quitter la version mobile
Partagez
Tweetez
Enregistrer