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Aleister Crowley et l’Arbre de Vie

Ce texte est un extrait de l’article «Introduction to Crowley (in Five Voices) » de Tim Maroney.

Dans ses écrits, Crowley fait souvent référence à un schéma ayant pour vocation de représenter l’univers spirituel : l’arbre de vie, un symbole qui se décline sous de nombreuses formes dans la Kabbale. Cette tradition du judaïsme mysticisme a été adoptée il y a des siècles par les mystiques chrétiens et les magiciens. L’Arbre utilisé par Crowley lui vient de la société kabbalistique anglaise connue sous le nom de Golden Dawn. Il est composé de dix sphères (Sephiroth) et de vingt-deux voies reliant ces sphères, ainsi que de trois voiles se situant au-delà de Kether : le voile de Paroketh (le portail, sous la sphère centrale de Tiphereth), le voile de Da’ath (l’abîme de la connaissance, sous les trois sphères célestes) ; s’y trouvent également les coquilles corrompues ou Qliphoth qui sont le pendant de l’arbre dans une forme pervertie et démoniaque sous Malkuth. L’arbre est reflété dans quatre mondes, du plus proche de Dieu au plus matériel, et il existe un grand nombre de symboles secondaires tels que les piliers de la Miséricorde et de la sévérité, ou la division de l’arbre en différents étages.

Le sujet est trop complexe pour être développé ici – ou même dans un livre de taille moyenne, et malheureusement, Crowley n’a jamais livré autre chose qu’une introduction. Dion Fortune (The Mystical Qabalah) et Israël Regardie (A Garden of Pomegranates) ont rédigé sur le sujet des ouvrages d’initiation qui ne sont toujours faciles à trouver. De son côté, Kenneth Grant est l’auteur de plusieurs livres idiosyncrasiques s’appuyant sur la Kabbale Crowleyienne ainsi que la gnose ophite, le gnosticisme, l’exploration des Qliphoth, les abîmes cosmiques lovecraftiens, les fluides sexuels tantriques et un étrange mélange d’autres matériaux du côté obscur ; ses œuvres sont des exemples de ce que les individus peuvent faire de la Kabbale lorsqu’ils ne sont pas bridés par la logique ou la rationalité. Il existe également, bien entendu, un large éventail de textes kabbalistiques qui ne doivent rien à la Golden Dawn ni au thélémisme.

Dans la Golden Dawn comme dans le système de Crowley, l’arbre joue deux rôles majeurs. En premier lieu, c’est une carte des progrès spirituels. En partant de la sphère plus basse et la plus matérielle de l’Arbre de Vie, connue sous le nom Malkuth, le Royaume et représentant le monde physique, l’aventurier spirituel grimpe vers les sphères supérieures par l’intermédiaire des sentiers, gagnant un nouveau degré spirituel à chaque sphère, jusqu’à ce qu’à atteindre la sphère ultime, Kether, la Couronne, qui représente l’unité invisible de la Divinité Suprême et le Véritable Soi. Cette ultime étape représente l’accomplissement connu dans le mysticisme chrétien comme étant l’union avec Dieu.

Par ailleurs, l’Arbre de Vie est utilisé en tant que système de classification et de correspondances. Il est admis que tous les symboles des religions du monde et de l’occultisme occupent un endroit particulier quelque part sur cet arbre – et peut-être plus généralement tous les symboles et toutes les idées. Les tables de correspondances standards puisent la majorité de leurs entrées dans la culture religieuse et les enseignements traditionnels magiques. Les tables de ce type sont très courantes dans la magie occidentale depuis la Renaissance.

Un large panel de symboles est associé à l’Arbre de Vie et se familiariser avec ces grilles symboliques est une condition préalable aux pratiques spirituelles dans le système de Crowley comme dans celui de la Golden Dawn. Une grande partie du système doit être mémorisé de façon à être facilement accessible lors des rituels et du travail méditatif.

L’Arbre de Vie est un assemblage de symboles renvoyant à l’idéalisme platonicien, doctrine dans laquelle le monde des phénomènes sensoriels est considéré comme secondaire ou comme la forme dégénérée d’une réalité spirituelle composée d’idées pures existant derrière la façade de l’univers matériel. Les idées sont semblables à des lumières dont les phénomènes perceptibles par les sens ne seraient que les ombres.

Les modèles cosmologiques faisant appel à cette notion d’émanation, comme l’Arbre de Vie, ont occupé une place centrale dans une ancienne forme de magie appelée néo-platonisme, sans doute l’ancêtre le plus direct de l’occultisme moderne et un cousin du gnosticisme gréco-romain. Des siècles après la chute de Rome, la Kabbale juive puis la cabale chrétienne et la magie de la Renaissance, ont relancé la tradition néo-platonicienne cosmologique et magique. Elle avait survécu, durant un millénaire dans les œuvres classiques, grâce à la préservation islamique des savoirs hellénistiques en Espagne et dans le sud de la France.

Les acteurs du renouveau magique ont développé de nombreuses et variées représentations symboliques de l’univers des Idées, en ce compris l’Arbre de Vie, le Tarot, d’autres types de cartes philosophiques ou alchimiques et des diagrammes zodiacaux.

La philosophie jongle communément avec deux perspectives opposées, le nominalisme et l’idéalisme. Pour aller vite, le nominalisme se concentre sur les noms des phénomènes et leur apparence en tant qu’outils de la connaissance humaine, tandis que l’idéalisme considère que les phénomènes du monde sensoriel ne sont que de pâles reflets de leurs formes idéales, ou essences, ou encore des idées pures. Ainsi, il y a beaucoup de fenêtres différentes, mais une seule « fenêtrité » qui existe sur un plan séparé du monde physique. Cette notion de formes idéales est tournée en dérision par les nominalistes, mais il se trouvait à la base de la philosophie de la Renaissance et du symbole de l’Arbre de Vie. Le nominalisme a été crucial pour l’existentialisme et la phénoménologie, des courants importants de la philosophie du XXe siècle, tandis que l’idéalisme mystique n’est plus considéré d’une façon générale, comme une philosophie viable de nos jours.

Crowley insistait sur le fait qu’il n’était pas un idéaliste, mais un nominaliste, tout en maintenant par ailleurs que l’Arbre de Vie dans la forme qui lui avait été transmise par la Golden Dawn représentait fidèlement la structure ésotérique de la réalité et ne pouvait être que négativement affecté par d’éventuelles modifications. C’est l’une des nombreuses déclarations contradictoires dans l’approche philosophique de Crowley. Déterminer s’il s’agit là d’un paradoxe inspiré ou d’une simple incohérence demeure sujet à controverse.

Crowley connaissait également le système énochien des Aethyrs, le Yi King chinois et la psychologie bouddhiste, en tant que systèmes concurrents de l’Arbre de Vie de la Golden Dawn. Il ne fit pas un grand usage de ces systèmes, les trouvant trop généraux ou pourvus d’autres défauts par rapport à l’Arbre de Vie, cependant ils ont tous joué un rôle important dans son parcours spirituel.

En ce qui concerne le judaïsme, Crowley était antisémite, comme beaucoup de chrétiens occidentaux de son époque. Précisément, il adhérait aux accusations de crimes rituels voulant que les célébrations juives nécessitent des sacrifices d’enfants chrétiens. Son antisémitisme lui a posé des problèmes, étant donné le rôle central joué par la kabbale juive dans l’Astrum Argentum. Ses écrits, jusqu’à sa mort, continuent de se débattre douloureusement contre cette vérité que la Kabbale est juive. Une tentative de rationalisation persistante dans son œuvre consiste à affirmer que les Juifs ont volé la Kabbale aux Égyptiens, une assertion qui ne trouva que peu de soutien, même auprès des érudits de son époque et qu’on peut considérer comme erronée à la lumière des connaissances actuelles. Par moments, il maintenant que cette histoire de sacrifice sanglant avait une symbolique ésotérique liée au sang rédempteur, mais généralement, l’accusation lui servait d’argument pour condamner la conduite morale des Juifs. L’antisémitisme de Crowley serait difficile à défendre et constitue un obstacle pour de nombreux lecteurs.

Aleister Crowley et l’Arbre de Vie. Extrait de l’article « Introduction to Crowley (in Five Voices) » par Tim Maroney, disponible en ligne sur le site de Tim Maroney. Une version révisée de cet article est parue dans l’ouvrage de Richard Metzger, Book of Lies : The Disinformation Guide to Magick and the Occult, sous le titre « Six voices on Crowley ». Traduction par Melmothia, 2010.

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