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Occupons Wall Street, acte deux

Occupons Wall Street, acte deux par Peter Lamborn Wilson.

« L’argent a un ennemi » – Charles Stein.

Le texte qui suit a été écrit à la main. Il a été transcrit par David Levi Strauss et donné à l’Occupy Wall street Review en vue d’y être publié. Peter a voulu que le texte soit mis à disposition des Occupiers et de tout le monde aussi rapidement que possible.

http://www.occupywithart.com/blog/tag/peter-lamborn-wilson

Certains historiens radicaux prétendent que le mouvement social historique dans son ensemble s’est cassé la gueule en 1870 lorsque la Commune de Paris a échoué à s’emparer (ou du moins à détruire) la Banque. Est-ce la vérité ?

Depuis 1971, le Pouvoir Bancaire – « les intérêts de l’argent » comme disaient ces vieux populistes et autres Grangers[i], c’est-à-dire le pouvoir de créer de l’argent sous la forme de dette – a, à lui seul, détruit toutes les chances de rendre ce monde plus proche de ce que notre cœur désire. Certains théoriciens anarchistes soutiennent qu’il n’existe aucune révolution véritable, si ce n’est la révolte contre l’argent lui-même – car l’argent VEUT que le capitalisme (et donc lui-même in fine) soit roi. L’argent trouvera toujours un moyen de contrecarrer la démocratie (ou tout gouvernement qui s’opposerait aux intérêts de l’argent) et d’établir le gouvernement du Capital – et donc de l’argent lui-même.

De « l’argent alternatif » n’aidera pas à changer les choses (ainsi que le regrette Marx) car l’argent réel (mauvais) poussera toujours le « bon » argent en dehors du jeu. L’argent alternatif ne « gagne » que dans le scénario où il remplace totalement l’argent. Mais dans ce cas, il ne sera jamais devenu que l’argent lui-même (protéiforme et multiforme).

Le populisme progressiste américain – comme la Grange dans l’agriculture, ou les Chevaliers du Travail[ii] dans l’industrie – avait connaissance de certains secrets ésotériques que nous devrions étudier. Ils croyaient que le producteur réel (le « travailleur ») pouvait mettre en place des institutions alternatives (au sein du système légal) capables d’éroder le pouvoir de l’argent et, peut-être, le remplacer : les coopératives de producteurs et de consommateurs, ainsi que les syndicats. L’argent pourrait encore être utilisé, au début – mais pas les banques – ainsi les dettes toxiques pouvaient être évitées. Les « vrais » producteurs pourraient se financer mutuellement (à un taux d’intérêt de 1% couvrant les frais administratifs). Grâce aux « banques mutuelles du peuple » et aux coopératives, ils pourraient protéger leur position économique et l’améliorer par le biais de l’agitation ouvrière, de la grève, du boycott, etc.

La « Mutualité » fonctionne comme une forme non étatique, décentralisée et non bureaucratique du socialisme, ne procurant ainsi aucune position indue à ses administrateurs. Elle débute, comme Occupy Wall Street, comme une démocratie directe animée par le consensus (l’exact opposé de la « démocratie » néoconservatrice libérale du capital prédateur). Des délégués révocables sont envoyés siéger dans des conseils régionaux ou administratifs.

Ainsi, le succès d’un tel système repose sur le fait de ne JAMAIS participer à quelque forme de représentation « républicaine » législative que ce soit (« garder la politique loin des fermes » selon le livret de chansons de la Grange). Le mouvement américain populiste commit l’erreur fatale, en 1896, de rejoindre le parti démocrate – et au lieu d’être crucifié sur une croix en or, le radicalisme américain fut crucifié sur une croix d’argent[iii].

La seule véritable méthode permettant d’organiser un monde alternatif basé sur la Mutualité passe par les institutions non étatiques, libres et volontaires telles les coopératives, les banques et assurances mutuelles, les écoles alternatives, les formes de communalisme et de « communitas », des entreprises économiques durables (c’est-à-dire non capitalistes) comme les fermes et les ateliers indépendants se fédérant entre eux en dehors de la sphère banque/police/business.

Il est certain que si ce Mutualisme devait obtenir un certain succès, il serait immédiatement défié par la Pouvoir de l’Intérêt de l’Argent. Des avocats et des policiers commenceraient à pulluler et la force militaire serait utilisée. La question se poserait alors différemment – la Guerre contre l’Argent. Une telle lutte pourrait-elle être « non violente » ? En théorie peut-être – en réalité, qui peut le dire ?

En fait, le mouvement OWS (Occupons Wall Street) et son futur devenir pourraient bien être « militaire » dans le sens donné par Sun Tzu, c’est-à-dire, tactique et stratégique – la « politique par d’autres moyens » (pour contreciter Clausewitz). De façon très intéressante, cependant, le premier mouvement d’une telle stratégie prendrait aujourd’hui la forme d’une retraite tactique – comme dans certaines formes de judo ou d’aïkido – une retraite d’un monde entièrement gouverné par l’argent pour un monde de coopération volontaire (un monde du « don ») en dehors du pouvoir des BANQUES.

Cette retraite se ferait graduellement – et comme il n’y a pas d’ « En dehors » vers lequel se retirer, la tactique doit demeurer hétérogène et impure. Nous pouvons construire un nouvel En dehors sur les débris de nos propres échecs. Cependant, quand nous commencerons à (re)créer un En dehors pour l’Argent, je crois que la récompense en sera grande et immédiate. Le partage des choses est inefficace et mauvais pour le capitalisme – mais, ou plutôt ainsi, il possède un réseau de plaisir en lui-même, une intimité et une camaraderie humaine dont manquent des millions d’Américains. La famille elle-même est aujourd’hui menacée par notre « économie de l’avarice » – comme le Social, en général, que je crois déjà mort et au-delà de toute réanimation possible. Cependant, j’ai l’intention de continuer à agir et à écrire comme si je croyais qu’il (le social) pouvait être SAUVE – pourquoi ? – parce que le pessimisme est trop chiant.

En fait, l’ennui est déjà un signe que l’ennemi est proche – c’est la condition sine qua non de la transe consumériste et de l’esclavage obéissant du salariat. Trompez l’ennui (comme disent les Situs) et déjà vous récupérez quelque chose.

L’aventure du Mutualisme doit commencer modeste – quelques voisins peuvent déjà organiser un covoiturage ou partager d’autres technologies « nécessaires » comme l’électricité, les outils de jardinage, les téléphones, etc.

L’étape suivante du partage pourrait inclure des coopératives – un potager commun, une banque de nourriture, une habitation ou une école. Ensuite une certaine institutionnalisation pourrait se faire avec une évolution vers une banque et une assurance mutuelles (des organisations fraternelles constituées afin de remplir leurs fonctions comme la Grange ou les chevaliers du Travail).

L’étape suivante serait fédérative : un réseau de groupes et de régions tel que l’envisageaient Kropotkine et Landauer ou Proudhon – mais également les soviets libres russes avant le coup Bolchevik de 17.

La clé ici serait « d’organiser le noyau du nouveau monde au sein de la coquille de l’ancien » ainsi que le suggère le préambule de l’IWW[iv]. En d’autres mots, ne PAS attendre que les « conditions soient mûres » au sens marxiste du terme, mais commencer ici et maintenant – pas seulement avec des manifestations et des jeux médiatiques et de l’info info info, mais aussi dans l’organisation réelle de l’économie et de la culture. Pourquoi ? Eh bien, qui désire attendre pour jouïr des fruits de la Révolution s’il est possible d’en expérimenter déjà un petit bout MAINTENANT ?

Une telle organisation ne remplace certes pas la résistance (ni même les émeutes ou le crime, encore moins le squat ou le refus de payer ses dettes). C’EST déjà une forme de résistance – mais aussi un plaisir en lui-même – une raison majeure pour la socialité humaine – une structure pour la créativité et l’imagination – une œuvre poétique ou esthétique, qu’il s’agisse d’outils ou de relations humaines, ou de musique, ou de jardinage, d’un hobby, ou de la simple convivialité humaine – cet idéal perdu.

Dans toute confrontation frontale avec Wall Street « nous » ne pouvons que perdre, toujours – car WALL STREET EST PARTOUT. La conclusion est donc claire : nous devons occuper PARTOUT. Nous devons habiter notre propre espace de vie quotidienne – ce temps/espace physique dans lequel nous vivons. Et si nécessaire, nous les squatterons. Et à partir du lieu de notre retraite tactique (aucune débandade ni défaite, mais une retraite ordonnée vers un point de renforcement logistique – pour citer Guy Debord citant Napoléon !), des zones libérées – quelles soient temporaires ou non – nous planifierons le prochain mouvement de cette fin de partie jouée entre l’Argent et la Vie.

Occupons Wall Street, acte deux, Peter Lamborn Wilson. Traduction française par Spartakus FreeMann, nadir de Guantanamo, janvier 2012 e.v.

Source: http://interactivist.autonomedia.org/node/36785

 

[i] La “National Grange of the Order of Patrons of Husbandry”, ou plus simplement “la Grange” est une organization fraternelle de fermiers américains qui encourage les familles de fermiers à s’unir pour leur bien-être commun économique et social. Fondée en 1867, elle représente la plus ancienne organisation agraire américaine. Leur devise est : « pour toutes les choses essentielles, l’unité ; pour les non essentielles, la liberté ; pour tout le reste, la charité ».

[ii] Le « Noble and Holy Order of the Knights of Labor » (ou en français, le « Noble et saint ordre des chevaliers du travail ») est une organisation de défense ouvrière pré-syndicale qui exista de 1869 à 1949 aux États-Unis. Elle s’inspirait du modèle maçonnique et des compagnonnages. Elle opéra de manière secrète jusqu’en 1878, puis connut un développement important jusqu’en 1886. Elle déclina les années suivantes et ses dernières loges disparurent après la Seconde Guerre mondiale.

[iii] L’auteur fait ici une référence, sous forme de private joke, à William Jennings Bryan un membre du parti démocrate qui défendit en 1896 le remplacement de l’étalon or par celui de l’argent (ou « free silver ») dans une visée inflationniste. Le « free silver » était le cheval de bataille du mouvement populiste américain qui, suite à sa fusion avec le parti démocrate soutiendra l’étalon or dans le « Cross of Gold Speech » de William Bryan.

[iv] Industrial Workers of the World ou IWW (dont les adhérents sont aussi appelés plus familièrement les Wobblies) est un syndicat international fondé aux États-Unis en 1905 dont le siège actuel se trouve à Cincinnati dans l’Ohio. À son apogée, en 1923, l’organisation comptait environ 100 000 membres actifs. Le nombre de ses adhérents déclina de façon spectaculaire après la scission de 1924, résultat de conflits internes et de la répression gouvernementale. Aujourd’hui, l’organisation milite activement, et compte environ 2 000 membres à travers le monde. L’adhésion aux IWW ne requiert pas de travailler dans une entreprise où existe une représentation syndicale et n’exclut l’adhésion à une autre organisation syndicale.

Les IWW ont comme principe fondamental l’unité des travailleurs au sein d’un seul grand syndicat (« One Big Union ») en tant que classe partageant les mêmes intérêts. Elle vise à l’abolition du salariat. Les IWW sont connus pour avoir développé le Wobbly Shop, une forme de démocratie en entreprise, dans laquelle les travailleurs élisent des délégués révocables. Les wobblies ont également mis en application d’autres formes de démocratie ouvrière, comme l’autogestion. (Wikipédia)

Vanitas Still Life, Jacob de Gheyn II, 1603. Domaine public.

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