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Esotérisme, politique et philosophie

Internet est mort

 Par JehrEl

Internet est mort. Pas la peine de vérifier mes mails ou d’aller sur les fesses du bouc pour voir si le contenu est bien à jour : internet est mort. Mais il continue de fonctionner. Comme le monstre de ce bon Victor Frankenstein que personne n’a jamais réussi à aimer. Qui l’a tué ? Personne, enfin je crois. Disons que je suis, qu’on est, tous un peu coupables du crime. Je pourrais dire que c’est parce j’ai accepté de plus en plus de silos, ces îlots isolés du reste du net. Certes, ça rend internet de plus en plus liberticide. Mais le monstre de Frankenstein n’était pas défaillant parce qu’il était mal conçu, un peu comme le Golem. Non, il aurait fallu l’entretenir. Au lieu de ça, j’ai laissé pourrir l’internet sur place. Il s’est peuplé peu à peu de trolls. Au début c’était des trolls modestes, ouverts à discussion, mais qui par leur participation stérile commençaient le lent travail de corrosion. Puis ils sont devenus très, très, nombreux et bien moins modestes. Ils ont fini par submerger totalement le contenu potable qui faisait d’internet la base de communautés stables. Aujourd’hui, le net est plein de personnes qui s’écoutent parler et guess what ? les gens intéressants sont tous partis.

C’est chaud de voir que tandis que j’ai pillé l’héritage geek, j’ai pillé l’héritage ésotérique. Au moins en occident, au moins en France, au moins chez moi. Si je pense la collectivité en mesure de maîtriser le désordre et de renoncer à ses maîtres du désordre, tant mieux, ça me fait moins de travail. Je pense parfois que l’égalité et le partage passe nécessairement par la même connaissance pour tous. Or c’est une erreur (ah bon ?), une grave erreur : le partage, la liberté, l’égalité, la fraternité, c’est surtout d’assurer que chacun fasse bien ce qu’il veuille, et pas ce qu’on lui a implicitement dit qu’il devrait vouloir. Sur ce point le moi enchanteur rejoint le moi geek : tandis que l’enchanteur dit « il faut que chacun ait son ésotérisme, mais rien n’empêche de communiquer sur nos expériences et résultats », le geek dit quant à lui « il faut cultiver ses centres d’intérêts personnels, mais cela n’empêche pas de communiquer nos passions ». Or les moi trolls visent un consensus ésotérique et/ou de centre d’intérêt, la pierre philosophale quoi, la Vérité avec un grand V comme Vendetta.

 J’ai tué les Lumières en même temps qu’internet. Quand je pense aux Lumières, je retiens souvent de leur combat qu’il y a une forme de vérité qui peut être employée à opprimer les personnes en la cachant à leur vue. Le message des Lumières pourrait être aussi que l’inexistence de toute vérité rend injuste toute contrainte fondée sur une quelconque forme de vérité, un message plus politique que métaphysique. La plupart du temps je suis à la recherche de cette forme de vérité qui pourrait être employée à mon encontre, ou au moins de sa source. Je perds un temps conséquent à discuter de métaphysique et à rechercher des paradigmes tous les plus transcendantaux les uns que les autres. Alors que j’ai le potentiel de réaliser des innovations politiques, sociales et organisationnelles par l’autorisation et la mise en action de vérités inexplorées.

 Internet est mort. Pas la peine de vérifier mes mails ou d’aller sur les fesses du bouc pour voir si le contenu est bien à jour : internet est mort. Mais il continue de fonctionner. Il fonctionne grâce à mes moi trolls, mes moi défiants, tous ces moi qui pourrissent et désagrègent tout ce qu’ils touchent. Tout ça parce que mes moi créatifs ont foutu le camp, pensant qu’internet était (enfin) devenu quelque chose de fiable. Qu’est-ce qui est fiable en définitive ? Rien, rien du tout. Rien n’est fiable. La fiabilité est ce qui fonde la (fausse) confiance en un système comme internet. Je ne peux pas plus avoir confiance en internet qu’en un lampadaire. Rien n’est très fiable.

 La confiance est un outil magique, un outil absurde si je l’accorde à autre chose qu’à des êtres humains auprès desquels je me mets en position de fragilité. Pourtant, c’est ce que je fais tous les jours dans mes pratiques magiques, faire confiance à des entités auxquelles j’accorde le statut d’être humain. Internet est devenu une vaste poubelle, et il est temps de faire un ménage un peu rationnel, un peu moins subjectif. Ou alors je dois faire un ménage anormalement subjectif. Tout est digne de confiance après tout. Mais toute confiance ne peut se manifester que dans des actes.

 Alors, que faire d’internet ? internet est-il récupérable ? recyclable ? ou est-il soluble dans le Coca-Cola ? j’en sais foutrement rien. Plus j’y pense et plus je me dis que j’aurais dû quitter internet il y a un moment. Comme ces personnes très sympathiques que j’ai croisées du temps où internet était mieux fréquenté. Je vais peut-être m’occuper de ma vie maintenant, non ?

Internet est mort, JehrEl

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