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Aliénations sanglantes

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« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles »

Umberto Eco.

Aliénations sanglantes

Je suis de la génération « touche pas à mon pote ! », je suis de la génération qui rêvait – follement – d’un monde de bisounours dans lequel l’être humain aurait pu vivre et laisser vivre. Je suis un doux dingue qui s’est – très modestement – battu afin de transmettre un message d’espoir auquel il croyait.

Tu vois, je suis un droit-de-l’hommiste, un peu bobo, un peu gaucho, un gonzo un peu rétro. Et je vais te parler du rêve qui a sombré dans un cauchemar aliénant et sanglant.

Dans les années 80 d’un siècle que certains ne connaissent pas, on s’est levé pour un idéal de liberté, d’égalité et d’amour ; on a refusé les fachos et autres vendeurs de misères. On n’a rien vu venir. Quels couillons !

En l’an 2 de ce millénaire, on s’est encore levé, la gueule de bois des lendemains qui déchantent, on a hurlé « plus jamais ça ! » On a marché, on a écrit, on a militanté – comme on pouvait, et on a gagné… Pour un temps… Trop heureux d’une fausse victoire qui nous offrait l’illusion qu’en fin de compte cela n’arriverait plus, enfin pas trop vite, on s’est rendormi.

En réalité tout était déjà perdu d’avance, depuis l’effondrement d’un certain Onze du Mois de Septembre ; souviens-toi ami lecteur de ce Onze du Mois de Septembre, car c’est là la Fin symbolique de notre Histoire. Conspirateur conspirationniste constipé de l’âme passe ton chemin, ce ne sera pas là mon propos ! Ce 9-1-1 (nayèn-ouane-ouane) est un effondrement de notre humanité, ou plutôt de notre capacité à agir en humain. On s’en tape que ce soit Bush ou un mollah amoureux de motocycles qui en soit responsable, car le responsable c’est nous en fin de compte.

On a laissé la haine prendre le contrôle de nos âmes, on a accepté des boucs émissaires tout désignés à nos petites affres quotidiennes : l’Autre est l’ennemi, toujours. J’ai pensé que ce seraient plutôt les survivants de l’Holocaustes que l’on tenterait de faire griller une fois encore, ou les francs-maçons, ou les wiccans… On a choisi le musulman : trop mauvais pilote d’avion, trop voyant avec ses djellabas et ses merguez, bref, trop différent. Et puis il a un trop bon taux de natalité, il va nous noyer sous ses spermatozoïdes et  renvoyer nos bonnes races franques dans les poubelles de l’Histoire. Inacceptable n’est-ce pas ? En route (enfin en bateau en réalité) vers la Mésopotamie et roulez tambours et trompettes du jugement dernier : on va latter du Sarrazin, en Irak, en Afghanistan, en Somalie, en Libye enfin partout où l’Autre vit.

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Combien de morts cette croisade en forme de tempêtes du désert ? 500 000 ? 1 million ? Même pas un score de flipper du siècle dernier. On a regardé avec avidité dans nos lucarnes luminescentes ; on s’est repu de cette Démocratie Toute-Puissante qui déferlait sur l’Autre ; on a applaudi aux lynchages de vilains dictateurs ; on a ri de ce philosophe à la chemise immaculée ; on a eu du bon temps.

Et puis l’Autre étant aussi con que nous, il s’y est mis à son tour. Trucidant d’abord son Autre à lui qui était à sa portée – shiite ou yézidi, chrétien ou homo ; passant ensuite à nous Autres.

(L’humain a ceci d’admirable qu’il est capable d’inventer chaque jour une nouvelle horreur, un moyen bien crade d’aider à trépasser son voisin : têtes coupées en mondovision, bûchers façon Fort Boyard, saut à l’élastique sans élastique… Quel Spectacle ! On s’est ému, mais c’était chez l’Autre.)

Je suis bobo, certes, mais pas con. Que ce soit nous Autres ou l’Autre, quand l’humain meurt je n’ai pas d’amis ou de préférences nationales ou religieuses. Un connard assoiffé de sang reste un connard, qu’il soit blanc ou basané ; chrétien ou musulman ; hétéro ou homo et la seule chose qui distingue un terroriste d’un marine c’est l’uniforme. On comprendra donc que je ne puisse être d’aucun autre camp que celui de la victime.

Et donc me dis-tu, Spartounet, où veux-tu en venir ?

J’y viens. Et il ne faut pas se tromper, ceci n’est pas un pamphlet !

Aujourd’hui, en l’an de grâce 2016, je me sens usé moralement, spirituellement ; empli d’un sentiment d’aliénation sanglante. L’humain est devenu fou – enfin non, il l’était déjà, mais c’était mieux avant (ainsi que le philosophe Cabrel l’a si magnifiquement écrit), avant la chute, avant qu’un je-ne-sais-quoi de pernicieux s’insinue en nous ; une sorte de ressac du passé, un reflux des égouts de l’Histoire, enfin quelque chose de bien odoriférant et collant, genre « j’ai marché dans le caca et ça me suit ». Il n’y a pas un jour qui se passe sans que l’on ne soit assailli par la haine – avec cette hargne à chier son mépris à la gueule du passant qui ne demandait rien –, il n’y a pas une heure sans appel au meurtre, à l’exclusion, à la guerre, au rejet de l’Autre.

La mode actuelle est aux musulmans : l’été est pourri ? La faute à l’Islam ! Ta femme te quitte ? La faute à ce fourbe de musulman ! Les femmes voilées ? Une horreur que la Sainte Vierge voilée Elle-même récuse ! Une meuf avec un foulard dans les cheveux sur une plage bien franco-française-bleu-blanc-rouge ? On appelle les flics pour mettre fin à cette abomination qui défigure la Culture estivale gauloise !

Ad nauseam ! Ils se gargarisent de leurs vomis et vous rotent la merde qu’ils appellent « patriotisme, valeurs chrétiennes, droit de penser skejveu ». Des torrents d’invectives démentielles, sanglantes et aliénantes : « la vue d’une femme voilée nous traumatise maintenant », « le port du voile est une incitation au terrorisme ». Bande de trou-de-fesses de Satan ! Œil pour œil, dent pour dent ! Niet camarade : « aimez-vous les uns les autres comme Moi je vous ai aimé ! »

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Well, Mentos – calme.

Ce que je viens de dire concernant les musulmans, est valable pour toute autre étiquette. L’Autre est multiforme, c’est un vicieux, faites gaffe, il se cache parfois dans votre lit.

Les humains sont devenus fous. Fous de rage et de haine, avides de sang – oh pas le leur, non, celui de l’Autre ! –, hallucinés par leurs désirs de vengeance aveugle, des bêtes de guerre folles lancées dans une course à la mort. Je les emmerde et cela m’épuise.

J’ai été un enfant de la génération « touche pas à mon pote ! » donc – rit celui qui comprend. Eh bien, là je dis stop ! Basta ! Finito ! Allez donc tous crever comme vous l’entendez : chrétiens blonds ou basanés musulmans, athées rougeaux – tous ! hétéros comme homos ou trans ou trisexuels, voire même les asexuels ! Allez bien tous vous faire voir avec votre aliénation sanglante qui m’étouffe l’âme. Je ne veux plus vous lire, vous entendre, vous voir. Leave me alone ! Et marche à l’ombre.

En prémisses, j’écrivais que je rêvais d’un monde de bisounours – multicolore si possible et avec des paillettes, merci ! Je me retrouve au milieu d’une horde de zombies dans les ruines puantes du Jardin. Tout ça n’a servi à rien : on vit dans un lac de merde aiguillonnés par des diablotins en Versace qui puent la rose. Au secours ! Laissez-moi sortir ! J’attendais des barreaux de fer noir, l’Empire me propose à la place la fange bleu-gris de l’aliénation sociale réseautée ! En guise de safari, une course aux Pokemons dans les caniveaux entre les pots crachant leur pisse gazeuse ; des barbecues aseptisés – CO² free™ – sous pergola en guise de pique-nique bucolique… Moi aussi je vais bouffer au MacDo donc ce n’est pas de ça que je parle, mais de ces simulacres humains qui vous balancent leurs slogans débiles dans le confort d’une pensée pré-formatée par la peur : « islamogauchiste, suppôt de la bien-pensance, droit-de-l’hommiste » – ta mère en short ! – voilà les étoiles jaunes de notre époque, les arguments massues d’une rhétorique mortifère. Si l’on n’est pas dans le camp de la mort, alors on est – je ne sais trop comment le dire – un bipède doué de raison, un sapiens-sapiens… Un être humain, avec un peu de cœur et pas trop de merde à la place de l’âme. Merci. Rideau !

On va me dire que je pompe l’air avec mes jérémiades. Peut-être, mais voyez-vous ça fait du bien par où ça passe. Et vous remarquerez que je ne vous appelle pas à flinguer votre voisin parce qu’il passe la tondeuse le dimanche matin. Je suis un homme bon, j’aime me l’entendre dire.

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Alors quoi ? Eh bien, je lisais dernièrement un texte de Peter Lamborn Wilson assez sombre, presque dépressif, presque autant que moi, à vrai dire. Dans le même élan je lisais ces merveilleuses interventions de « belles âmes pieuses » applaudissant à la verbalisation d’une meuf en foulard sur une plage quelque part en France. Le rapport me demanderez-vous ? Eh bien tout est là. Les mecs – j’oublie pas les meufs – c’est le paradis que nous avons choisi de bâtir : un cirque pathétique où chacun s’égorge pour des raisons divines pendant qu’une bonne partie de notre espèce survit à peine aux conditions imposées par le Kapitalisme triomphant ; un monde où le lait à un goût de médicament et le miel tient plus d’un dérivé du pétrole que de la semence florale ; un monde où on ne peut plus d’habiller comme on veut, car les Autres, titubant de peur, légifèrent sur la taille des foulards à la plage… Plus clair : un putain d’univers où nos semblables tentent d’imposer leurs aliénations sanglantes ; une arène de fer et d’hémoglobine où l’on voudrait nous obliger à suivre les pas d’une danse macabre. Ne résistez pas, ils ont les moyens de vous y contraindre, et ils n’oublieront pas les couilles molles multiculturelles globalistes – bobos de gauche stalino-anarchistes islamophiles post-soixante-huitardes (ouf ! sic ! et ™ !) – dans le fond de la classe.

Wilson se désole donc de la défaite cuisante des forces progressistes : une défaite par abandon ! Et c’est bien là le problème : nous avons lâché l’affaire. On votera Le Pen ; on acclamera l’armée dans les rues ; on rira devant les files de musulmans expulsés de la France éternelle (et d’ailleurs, au-delà de la petite ceinture) ; on ira bosser 50 heures semaines jusqu’à 70 berges pour 1 euro de l’heure ; on sera content, car Morandini sera bien sur iTélé ; on en redemandera. Et je rejoins Wilson sur ses conclusions : quel que soit le chemin que l’on prendra, tout est déjà perdu d’avance, car nous avons décidé de « vivre dans l’instant présent une vie de tous les jours morne et ennuyeuse ». Et ce n’est pas Pokemon Go qui va vous sauver les gars – non les meufs j’vous oublie toujours pas (zête d1 mon cœur bisous) ! Ni les 58 000 likes sur votre dernier post de Facebook.

J’irai plus loin que Wilson, face à toute cette aliénation sanglante, il n’y a plus que le choix évident du retrait, un grand « tsimtsum » pour laisser encore plus de place au déroulement du Spectacle ; une coupure générale en forme de « pouf ! a pu ! ».

Oh mais non, pas de LA vie, mais de cette vie virtuelle qui ressemble à une perpétuité dans le Café du commerce mondial, mais sans les nichons de la patronne.

Aliénations sanglantes, Spartakus FreeMann, écrit au nadir sombre de Libertalia le 25 août 2016.

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Nouvelle version de KAosphOruS, le WebZine Chaote francophone. Ce projet est né en 2002 suite à une discussion avec un ami, Prospéro, qui fut à la source d’Hermésia, la Tortuga de l’Occulte. Le webzine alors n’était pas exclusivement dédié à la Magie du Chaos, mais après la disparition de son fondateur, il a évolué vers la version que vous pouvez aujourd’hui lire. L’importance de la Chaos Magic(k) ou Magie du Chaos grandit au sein de la scène magique francophone. Nous espérons apporter notre clou au cercueil… Melmothia & Spartakus FreeMann

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