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Magie du Chaos

Pythagore et la Mathèse du chaos

Par Frater Choronzon 999

Une conférence de Frater Choronzon donnée le 24 juin 1989 pour « The society » à The Plough, Museum Street.

Le titre de cette conférence a évolué pour se transformer, en fin de compte, en une publicité pour le concept de la Mathèse [1] . Cette science possède la même relation avec les mathématiques que l’Alchimie avec la chimie ou la physique.

La Mathèse est l’un de ces rares mots que l’on peut retrouver dans les dictionnaires de grec, de latin et d’anglais avec une définition quasi identique. Ainsi, le lexique grec-anglais de Liddel & Scott donne « apprentissage ou connaissance, particulièrement dans les mathématiques ou en astrologie ». Le chaos est est également un terme connu de ces trois langues et n’importe quel dictionnaire vous dira qui est Pythagore.

Mais si la notion de chaos, comme Pythagore, sont familiers à la plupart d’entre nous, la mathèse, en tant que concept a été reléguée dans l’ombre, tout comme l’alchimie, sous l’impulsion des autorités académiques.

Pythagore et le chaos sont totalement pertinents dans le sujet qui nous occupe, Pythagore ayant inventé le concept de mathèse et les mathématiques du chaos, ou la dynamique non-linéaire, pourraient bien être le véhicule que cette mathèse devra emprunter pour qu’on lui rende sa respectabilité académique, ou du moins elles pourraient être un moyen grâce auquel ses hypothèses pourraient être perçues comme relevant du « réel ».

Mathèse et mathématiques.

La différence entre la mathèse et les mathématiques est parfaitement illustrée par un exemple tiré de l’œuvre d’Agrippa, ce philosophe allemand de la Renaissance. À la page 148 de l’édition de 1533 du De Occulta Philosophia, on trouve une série de diagrammes bien connus. Ce sont les carrés magiques planétaires auxquels Agrippa attribue une origine kabbalistique. Chaque carré consiste en un arrangement de nombres tel que la somme de chaque rangée et colonne, ainsi que des diagonales, donne le même résultat [2].

Les carrés en eux-mêmes sont un phénomène tout à fait normal et conventionnel de la théorie des nombres. Pour chaque carré, il est possible de démontrer qu’il existe plus d’un arrangement de nombres pouvant donner un même résultat. On peut prouver que pour tout carré, un tel arrangement de nombres donnera le même total. Par exemple, pour le carré 4×4 de Jupiter, il est possible de démontrer que n’importe lequel des arrangements des nombre 1 à 16, donnant le même résultat par rangées, colonnes et diagonales, donnera toujours le même total. La démonstration mathématique de cette loi sort cependant de l’objet de cette conférence.

L’analyse que donne Agrippa de ces carrés est quelque peu différente (et il semble qu’il n’ait pas bien relu les premières épreuves de son livre lors de leur impression). Il utilise des procédures qui sont développées dans d’autres chapitres de son livre et qui, à leur manière, sont encore moins rigoureuses que les techniques mathématiques de son temps. Cela se déroulait un peu plus d’un siècle avant que Newton et Leibnitz ne publient leurs travaux sur les « Calculs », et presque deux siècles avant le développement d’un corpus analytique. Les carrés sont assignés aux planètes et aux « lumières » dans un ordre décroissant par rapport à leurs distances orbitales à la terre. Une signification spéciale est donnée à certains nombres associés aux carrés :

Base 3 4 5 6 7 8 9

Carré 9 16 25 36 49 64 81

Somme 15 34 65 111 175 260 369

Grande somme 45 136 325 666 1225 2080 3321

Agrippa démontre ensuite, par l’utilisation de la Guématria, comment les divers noms angéliques, divins et démoniaques, tirés de la Kabbale hébraïque et correspondant aux planètes, forment une somme numérique significative. Ce processus sera par la suite considéré comme assez conventionnel par les occultistes.

Ces techniques et ces procédés de raisonnement sont de la Mathèse Pure.

Les autres procédures utilisées par Agrippa afin d’obtenir les sceaux planétaires mènent à ce que l’on pourrait appeler la Mathèse Appliquée. Les instructions qu’il donne afin de graver les sceaux, sur un support métallique approprié à la planète jettent les bases d’un système magique complet. Ce système fut résumé par Francis Barrett dans son livre The Magus publié en 1801 dans lequel les diagrammes d’Agrippa furent tous reproduits, bien que de manière incomplète.

La mathèse est donc le pendant métaphysique des mathématiques. Les mathématiciens du 20e siècle ont eu tendance à négliger cet aspect, à une exception notable près, en la personne de Kurt Godel. Son théorème dit en gros qu’au sein d’un système mathématique, il y a des choses qui défient toujours toute vérification.

Pythagore.

Sans risquer de trop se tromper, on peut considérer Pythagore comme le père des mathématiques. Selon les standards du monde antique, c’était un drôle d’individu. Considéré par beaucoup de ses disciples comme une incarnation de l’Apollon Hyperboréen, il possédait un esprit extraordinaire. Musicien de talent et adepte de plusieurs écoles à mystères, on a dit de lui qu’il détenait des pouvoirs miraculeux.

Il est né à la 54e Olympiade, c’est-à-dire en 569 avant notre ère, dans l’île de Samos. Ses parents semblent avoir été Phéniciens et il eut la chance de suivre les cours de Pherekides de Syros. Il est vraisemblable qu’il a vécu en Phénicie et il est traditionnellement considéré comme faisant partie des « Sept Sages de l’Antiquité » (l’équivalent intellectuel des « Sept Merveilles du Monde »). Pythagore a sans doute élaboré son système cosmologique et ses croyances en la réincarnation dans ses jeunes années sous l’influence de Pherekides.

Jeune homme, il voyagea en Égypte, avec une lettre d’introduction de Phylocrates, le tyran de Samos, cherchant l’admission comme néophyte parmi les prêtres de Memphis. Ceux-ci le rejetèrent sur le fait qu’il (parce qu’il) était un étranger. Mais, sur leurs conseils, il se rendit au temple de Diospolis où, après de dures épreuves, il fut admis. Pythagore y apprit les hiéroglyphes et il fut le premier grec à le faire. Il demeura là pendant quelques années. Jamblique, écrivant au 3e siècle de notre ère, dit que Pythagore fut prêtre égyptien pendant 20 ans.

Le séjour de Pythagore en Égypte s’arrête brutalement en 525 avant notre ère quand Cambyse, roi de Perse, envahit le pays et l’emmena en captivité à Babylone. Il demeura là bas pendant 10 années, il y étudia avec Zaratas, un mage de la tradition zoroastrienne et chaldéenne. Il est probable qu’il fut d’ailleurs l’esclave de Zaratas.

À son retour en Grèce, Pythagore, ayant ainsi récolté une profonde culture philosophique et adepte de diverses écoles des mystères de Phénicie, d’Égypte et de Babylone, se retira à Samos dans une grotte où il enseigna avant de partir pour l’actuelle Sicile, à Crotone où il fonda une école.

De nombreuses découvertes dans les domaines de l’acoustique, de l’harmonique, de la géométrie et de l’astronomie sont directement imputables à l’école pythagoricienne, et l’un des concepts les plus persistant fut celui qui consistait à considérer les nombres comme des agents divins capables d’exercer une influence sur les événements terrestres au travers des mouvements des planètes auxquelles ils correspondent. Une grande part de cette théorie fut couchée sur le papier par Agrippa (dans son De occulta Philosophia) qui publia également des tables de correspondances qui annoncèrent celles du Livre 777 de Crowley.

Des écoles pythagoriciennes étaient encore en activité au 6e siècle de notre ère. La dernière, à Alexandrie, fut dissoute par l’empereur Justinien au cours d’un véritable « pogrom » contre la philosophie et le paganisme antique. Les rescapés s’enfuirent vers la Perse où le zoroastrisme persista jusqu’au 8e – 10e siècle, c’est-à-dire jusqu’aux aux invasions de l’Islam.

Il est admis qu’à partir de cette époque, la science, les mathématiques et la philosophie furent considérées comme de dangereuses occupations pour l’empire chrétien. On peut penser que l’intolérance chrétienne fut responsable d’un hiatus de près de 1000 ans dans le développement de la connaissance humaine, aidée en cela par le secret pythagoricien. Ainsi, il est aujourd’hui généralement accepté que la terre est sphérique et qu’elle tourne autour du soleil avec les autres planètes. Il est indéniable que les pythagoriciens le savaient et le comprenaient ; Copernic et Kepler l’ont reconnu d’ailleurs dans leurs écrits, mais, le développement du calcul comme moyen de modélisation du mécanisme du système solaire dût attendre jusqu’au 17e siècle.

Le « fascisme » intellectuel chrétien fut la raison principale de ce retard, selon moi. Les philosophes de la Renaissance jouaient souvent à la roulette russe du fait de leurs idées. Après Copernic, Galilée fut inquiété par l’Inquisition, Giordano Bruno fût brulé sur ordre du pape Clément VIII en 1600. Newton eut plus de chance en travaillant dans l’atmosphère plus ouverte de Cambridge.

Ceux qui ont développé le concept de la mathèse ainsi que ses applications, ont, de toute évidence, subi le même sort. Toute résurgence de la tradition gnostique fut éradiquée, parfois avec une exceptionnelle brutalité, comme ce fut le cas pour les Cathares et les Templiers.

Néanmoins, ces dernières décennies, les chercheurs en mathématiques et en mathèse ont pu progresser dans des domaines restés interdits pendant des siècles.

CHAOS !

Vers la fin des années 70, au moment où Peter Carroll publiait son Rites of Chaos, un mathématicien de l’« IBM Research Center » de Yorktown Heights, le professeur Benoît Mandlebrot, travaillait sur un moyen de mettre en place un test de performance pour la conception de nouveaux ordinateurs. Mandlebrot dépoussiéra quelque peu la théorie de l’itération du mathématicien français Gaston Julia publié en 1918. Celle-ci, jugée extravagante dans ses calculs, avait été reléguée dans l’obscurité, – c’était là ce que cherchait Mandlebrot. Il adaptât les travaux de Julia à ses propres recherches et fit tourner son ordinateur ; il en fut récompensé par le premier dessin fractal reproduit par ordinateur – ce qui donna naissance à « l’ensemble de points de Mandlebrot ».

Le dessin obtenu intrigua Mandlebrot, plus il entrait dans les détails de la structure et plus intriquée celle-ci devenait. L’ensemble avait la propriété de se reproduire indéfiniment. Cette propriété relève du domaine de la géométrie fractale qui est la géométrie du chaos. Mandlebrot avait découvert (par) là le moyen de modéliser mathématiquement ses schémas.

Ces dernières années, les mathématiciens du chaos ont provoqué un débat au sein de la communauté scientifique semblable à celui déclenché par les magiciens du chaos dans le milieu occultiste. Voici, on ne peut en douter, l’une de ces coïncidences qui émergent fréquemment du néant, comme les pensées humaines…

Depuis l’époque de Newton, les mathématiques ont été capables de modéliser des sous-ensembles de processus mécaniques réels. Par exemple, la course d’un pendule peut être décrite avec précision ; mais fabriquez votre pendule avec du métal et placez des aimants dessous et alors son comportement deviendra non linéaire et chaotique ; à ce point, les mathématiques conventionnelles abandonnent. Elles abandonnent également la partie qui concerne la dynamique des fluides. La non-linéarité, qui apparaît lors de l’interaction de plus de deux particules, est responsable de l’échec de la mécanique quantique à fournir des précision quant à la configuration des atomes autres que celui de l’hydrogène.

Pas une semaine ne se passe sans qu’un élément ne paraisse dans « Nature » ou dans le « New Scientist » quant à la découverte d’applications nouvelles des mathématiques du chaos (ou de la dynamique non-linéaire, comme ils préfèrent l’appeler). Des géologues l’utilisent afin de modéliser les processus sismiques ; les astrophysiciens pour modéliser la structure et l’évolution des galaxies.

Le pouvoir des mathématiques du chaos en tant qu’outil de modélisation est double. Tout d’abord, elles interviennent dans la démonstration de l’existence de structures isolées au sein d’une matrice désordonnée ou chaotique ; par exemple, la présence d’une large zone rouge perdurant pendant des centaines d’années au sein de (dans) l’atmosphère de Jupiter, ou encore la conformation d’un nuage de fumée. Ensuite, elles permettent de faire des prédictions limitées quant aux comportements futurs des phénomènes chaotiques. Ces prédictions sont limitées par ce que l’on appelle « l’effet papillon ».

Le comportement futur de toute fonction non-linéaire est très sensible aux conditions initiales. Cette sensibilité extrême explique le processus par lequel le peu d’air déplacé par les petits battements d’ailes d’un papillon dans un coin reculé des Caraïbes peut se transformer, en une semaine, en une tempête à Londres. Les formules mathématiques décrivant ce processus sont insaisissables, mais les implications de leurs résultats sont plus proches de la mathèse que des mathématiques conventionnelles.

Lorsqu’Agrippa donne des instructions pour manipuler un sceau afin de produire des effets à distance, on peut dire qu’il ne fait rien de plus que de spécifier le point de départ d’un processus « papillon ». L’oracle du Dalaï Lama, et la plupart des « danseurs de la pluie » seraient à l’aise avec ce concept sans aucun doute. Ainsi, le Chaos réunit les mathématiques et la mathèse, mais pas nécessairement comme l’imaginait Pythagore.

Pythagore et la Mathèse du chaos. Frater Choronzon 999. Traduction française par Spartakus FreeMann, mars 2009 e.v.

[1] Mathèse provient du latin tardif et dérivé du grec mathesis (μαθησις) qui signifie « apprendre ». S’emploie parfois pour le calcul mental.

[2] Le professeur Singmaster suggère que les carrés magiques sont d’origine chinoise. En outre, il fait remarquer que la première version du De occulta de 1510 ne comprend pas les diagrammes et que l’ordre des carrés associés aux planètes est différent de celui donné dans la version de 1533. Il suggère enfin qu’Agrippa a pu être influencé lors de son voyage en Italie par les travaux du mathématicien Lucas Pacioli.

Références et bibliographie.

Agrippa von Nettesheim, H. Cornelius – De Occulta Philosophia 1533

Barrett, Francis – The Magus or Celestial Intelligencer 1801

Carroll, Peter – Liber Null 1978

Copemicus, Nicolaus – De Revolutionibus Orbium Coelestium 1543

Crowley, Aleister – Liber 777 1909

Gleik, James – Chaos – Making a New Science 1987

Gorman, Peter – Pythagoras – A Life 1979

Mandlebrot, Benoit – The Fractal Geometry of Nature 1982

Peitgen, H-O & Richter, P H – The Beauty of Fractals 1986

Peitgen, H-O & Saupe, D – The Science of Fractal Images 1988

Singmaster, David – Sources in Recreational Mathematics 1993

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