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Sens Cryptique

Par Melmothia

Si mon premier mouvement a été le scepticisme, je me suis ensuite rappelé cette belle phrase d’Albert Lantoine, « la lettre ne limite pas l’esprit », que l’on peut lire dans sa préface du Serpent Vert de Goethe, suivie de cette observation éclairante : « Les commentateurs avisés d’un philosophe n’aident pas seulement le public à comprendre son idéologie, ils la lui révèlent à lui-même ».

Peut-être les hommes d’ailleurs, se sont-ils connus, tous deux initiés et francs maçons. On pourrait même rêver Lantoine devisant durant une tenue, avec le jeune Frater Negator I. Un nomen qui ne doit rien au hasard dès lors que l’on connaît la personnalité de l’artiste, car semblable au Mat du Tarot (dont le nombre est peut-être 22, ou peut-être 0, ou peut-être pas), c’est par la folie, par la « mania » que notre artiste professe la sagesse. De là son nom de scène, anagramme de son nom initiatique, Gotainer, sous lequel il s’est employé trois décennies durant à transmettre la vérité sous le voile opaque de la gaieté. Car ainsi que le dit Khalil Gibran, quand le sage se regarde la lune, il sait où se trouve le doigt du fou. N’est-ce pas d’ailleurs à cette démence sacrée que l’artiste fait allusion en une envolée que ne renierait pas Erasme, lorsqu’il ouvre son oeuvre majeure en précisant qu’il n’est pas à ce qu’on dit de docteur qui guérit cette maladie ? Mais bien sûr qu’il n’en est pas ! car elle n’est pas de ce monde !

Vient ensuite le rappel de ses premiers pas dans la Connaissance. La révélation se fait grâce à l’eau qui est miroir et discernement du temps qui passe ; l’eau lui révèle qu’un Soi existe derrière le mur des illusions, idée qu’il évoque avec simplicité et une familiarité non dénuée d’humour par l’évocation de « l’eau du lavabo ».

Puis ce simple mot de deux syllabes, répété tout au long de l’oeuvre comme un mantra, ou plutôt comme un cri halluciné jeté à la face du ciel : mambo ! Le calcul nous apprend que le terme est de valeur guématrique 89, la même que Dommeh, « le silence » en hébreu. Répété 17 fois dans le morceau (17 renvoyant à Tov qui signifie « bon », car se taire est bon pour l’initié), ce mot nous incite au silence. Le secret ne doit pas être transmis à ceux qui n’ont pas soulevé le voile. Ainsi que le dit Oswald Wirth, pour cela, il faut être un « abstracteur de quintessence ».

Quid des influences me direz-vous ? Eh bien, hormis la sagesse franc-maçonne, on reconnaîtra facilement les techniques opératoires d’Osman Spare : « Une notice au dos. C’est le mode d’emploi ». Frater Negator I nous annonce là qu’il va nous révéler le secret de l’image agissante, à savoir le sigil, le terme « dos » faisant évidemment allusion à l’ombre des choses, qui pour citer encore Wirth, « se rapporte à ce que la raison n’éclaire pas et donc ce qui reste inexpliqué » de façon à illuminer intérieurement et verticalement. En d’autres termes, ce n’est pas une vérité commune, galvaudée, mais de ces principes que seuls les clairvoyants peuvent connaître dont il est question ici.

« Laissez tremper dans l’eau. Et comptez jusqu’à trois ». Après le temps de maturation nécessaire (l’oeuvre au noir), c’est le ternaire sacré qu’il convient d’appliquer à l’opération. Le texte énonce alors la technique désormais classique de la sigilisation, à savoir la multiplication des supports – toujours dans un contexte de familiarité -, le frigo, les murs, le vélo, & l’inscription de la volonté de l’adepte par l’érotisation du geste « Exercer une pression. Eponger à feu doux ». Ici, Frater Negator I se garde d’être trop explicite, le lecteur aura compris qu’il s’agit de Magia Sexualis.

Pour que l’opération s’accomplisse, il faut également que l’initié soit en état de Gnose, que la conscience individuelle soit effacée au profit de la lucidité cosmique, l’ego écarté : « Sur un support bien lisse. Ça devient un réflexe », nous dit l’initié, précisant par là que le vide doit être doublement effectué, virginité du support & non pensée de l’opérant. Le geste sacré est ensuite relativement simple à accomplir : « On maintient de l’index. Et du pouce on coulisse ».

Et de conclure sur le classique bannissement : « Puis laisser reposer. Toute la nuit s’il le faut ». Il est en effet capital que l’opération magique soit oubliée pour être efficace.

L’oeuvre se termine sur un avertissement au néophyte qui se risquerait inconsciemment à ces agissements sans initiation. Frater Negator I nous dit que l’opération est « brûlante » : « Chaud devant, chaud chaud » (notez encore le ternaire), puis « La manie mets le feu aux rideaux ». La prudence est de mise.

Interrogé à propos des implications initiatiques de son oeuvre, l’artiste s’est contenté, comme Goethe en son temps désireux de ne point déflorer le secret, de répondre « si vous le dites… ».

Extraits d’oeuvres de Frater Negator I.

Sens Cryptique, Melmothia 2008

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