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Les Qliphoth, les séquelles

Par Spartakus FreeMann

« Monsieur Grant dit « qu’aller dans le désert de Set c’est devenir un Frère Noir » (Grant, Nightside of Eden, page 8 ) et c’est là exactement ce qu’il a fait. Il n’a pas traversé l’Abysse, mais erré en lui jusqu’à être avalé par les royaumes qliphothiques (« l’autre côté de l’Arbre ») au travers du vortex appelé Daath. » (Frater M.E.D., « The Sword of Horus »)

Après avoir parlé des Qlipoth dans la tradition originelle occultiste – et plus particulièrement dans la Kabbale – nous allons maintenant présenter le développement de ce concept mystique dans l’occultisme et la magie occidentale contemporaine.

Après l’époque florissante d’Agrippa, de Pic de la Mirandole et autres Postel, l’accès aux sources originelles de la Kabbale se fit plus difficile – principalement en Angleterre où les juifs furent bannis du royaume par Édouard Ier en 1290. De ce fait, le développement de ce que l’on peut appeler la « Cabale hermétique » se fit de manière plus syncrétique et éclectique. Ainsi, les Sephiroth et les Qlipoth ne seront que très rarement mentionnées dans les ouvrages cabalistiques de la Renaissance.

Il faudra attendre le 19e siècle et l’émergence de l’Ordre hermétique de l’aube dorée pour voir réapparaître les Qlipoth dans le cadre des études magiques et occultes. Westcott et MacGregor Mathers étudièrent puis traduisirent des dizaines d’ouvrages kabbalistiques (le Zohar, le Sepher Yetsirah, l’Esh Metzareph…) et constituèrent peu à peu une doctrine cabalistique hermétique synthétique afin de l’intégrer aux enseignements de leur Ordre. C’est ainsi que Mathers identifie, dans son introduction à la Kabbala Denudata, les Qlipoth aux rois d’Edom : « Ces mondes antérieurs sont sensés être symbolisés par « le roi qui règne à Edom avant qu’il ne règne un roi en Israël », et on en parle donc dans la Qabale comme des « Rois Edomites » ». Il voyait leur origine dans un déséquilibre au sein de l’Arbre de Vie entre la force de la Rigueur et celle de la Miséricorde, celle-ci l’emportant et causant une séparation, une brisure. Cette vision postule l’inverse de la Kabbale lourianique qui voit ce déséquilibre se produire par un excès de force du pilier de la Rigueur, le pilier gauche de l’Arbre.

Les Qlipoth démoniaques, comme nous l’avons déjà dit par ailleurs, sont un développement de la démonologie traditionnelle combinée avec la théorie mystique de l’Arbre de Vie. L’on trouve ainsi dix ou douze ordres de démons et leurs gouverneurs, les sept enfers et les vingt-deux démons inférieurs calqués sur un modèle à rebours forgé, là encore, au 19e siècle.

Au 20e siècle, nous retrouverons Aleister Crowley et ses amis, Israël Regardie, Dion Fortune, Frater Achad, Kenneth Grant, et plus tard, les Savedow et autres Milo Duquette. Comme l’écrit John Gee dans son Tree of Death : « Savedow base ses attributions pour l’Arbre de Mort sur celles de Waite, de Grant et de Crowley. Grant à son tour base ses attributions sur celles de Crowley. Crowley et Waite basent leurs attributions sur celles de Lévi. Lévi base les siennes sur le Zohar, mais de manière si élaborée qu’il a réussi à s’éloigner de très loin de la source originale. Le travail de Lévi a été largement basé sur le contenu de la Kabbala Denudata que Mathers traduira plus tard, sur le Bahir, le Sepher Yetsirah et les dix émanations lumineuses d’Isaac Louria. » Retour au point de départ si l’on peu dire.

Avant de continuer plus avant, faisons un petit arrêt chez Regardie. Il sera l’inventeur, pour ainsi dire, du concept des « Qlipoth inversées ». Pour lui, en effet, les Qlipoth ne sont que les reflets maléfiques, les opposés ontologiques, des Sephiroth, disposés sous la forme d’un Arbre du Mal, « l’Arbre jumeau ». Dans sa théorie, Regardie soutient que les Qliphoth sont constituées de « matière maléfique » et de « coquilles de la mort », séparées de la source bénéfique supérieure, et aux effets dualistes et séparateurs.

Dans la littérature occultiste moderne, nous les voyons apparaître dans le Livre de Dyzan, ou de Thoth ainsi que dans le Livre de la Loi. Robert Anton Wilson, quant à lui, les associe au « petit peuple » celtique et il les définit comme les « âmes de ceux qui sont morts fous… les tulpas du Tibet… les avatars du Coyotte, le dieu maléfique indien d’Amérique du Nord ».

Voilà pour ce bref tour d’horizon de la naissance moderne du système opératif et symbolique des Qlipoth. Nous en arrivons maintenant au cœur de notre propos avec l’œuvre de Kenneth Grant et son développement personnel des Qliphoth.

*****

Dans son livre Nightside of Eden, Grant prétend que les Qliphoth représentent l’aspect réprimé de ce qu’il considère être les « Sephiroth » rationnelles, solaires et phalliques. Les Qliphoth représenteraient donc le côté instinctuel, lunaire et féminin associé à Celle Sans Visage, ou Lilith. Toutefois, « Grant nous rappelle ce vieux principe que la lumière ne peut exister sans l’ombre. La pièce retrouve un instant ses deux côtés, mais les reperd illico pour retomber sur la tranche, Grant concluant une fois de plus que les entités concernées ne sont ni mauvaises ni bonnes, simplement différentes » (Melmothia, Kenneth Grant, Sa vie, son oeuvre [2]).

Nightside of Eden se présente, en fait, comme un large commentaire d’une œuvre de Crowley, le Liber CCXXXI, publié en 1912 dans le volume I, numéro 7 de The Equinox. Grant écrit : « le présent travail, par conséquent, est basé sur un très sinistre grimoire connu sous le nom de Liber 231, qui transmet encore aujourd’hui le Courant 93 tel que ravivé par Crowley au 20e siècle ».

Dans une note de bas de page, il explique le projet du livre et précise la symbolique du nombre 231 : « 231 est la somme des nombres des cartes du tarot, 0 à 21 ; c’est donc l’extension du nombre 22. Le Liber 231 traite des 22 Atouts de Thoth tels qu’appliqués aux 22 Sentiers de l’Arbre de Vie et aux 22 Cellules des Qliphoth. Crowley a traité ouvertement des Atouts (voir son Livre de Thoth), mais pas des 22 Cellules des Qliphoth ou Tunnels de Set sous les Sentiers. Le présent livre complète donc un travail demeuré incomplet ».

Les Qliphoth sont reliées entre elles par les tunnels de Set, inversions des Sentiers de l’Arbre de Vie. L’ensemble se présente comme le « Côté Nocturne de l’Arbre », une réalité alternative que l’on peut atteindre via Daath et où résident les Anciens que Grant associe aux Grands Anciens de Lovecraft. Ceux qui connaissent bien les écrits de Grant – ce qui n’est pas mon cas – connaissent l’importance de l’influence de l’œuvre d’H.P. Lovecraft sur son système magique. Dans Nightside of Eden, citant un passage d’un texte de Lovecraft, il note : « Le pilier (parlant de la Cité des piliers, Irem) est l’emblème de Set, l’une des significations du nom de ce dieu étant « pilier ou pierre dressée », et le désert est la demeure de Set (c’est-à-dire de Daath). Irem, alors, fut la première Porte établie par les Grands Anciens et cette Porte était le lieu de Daath ou Eden » (Grant, Nightside of Eden, page 69).

« Le nom donné par les cabalistes à cette Porte du Gouffre est Daath et dans la tradition occulte c’est le lieu par où le dragon aux huit têtes des profondeurs a disparu derrière l’Arbre lorsqu’il l’escalada dans une tentative infructueuse d’atteindre la tête divine (Kether). Le nom Daath suggère immédiatement le nom de cette autre porte qui s’ouvre sur le vide de l’extinction personnelle, la mort (ndt : jeu de mot entre Daath et death en anglais mieux rendu en français par décès). Ces termes de Daath et de Décès possèdent effectivement une affinité mystique et l’on ne peut réfuter ce fait même si ces mots appartiennent à des langues différentes car il y a une preuve concluante dans le fait que les deux mots sont cabalistiquement équivalents au nombre 474 (Daath = daleth, ayin et tav donc 4+70+400 ; Death = daleth, ayin pour « ea » (sic) et tav, ndt).

Par permutation, Daath devient OthD, un mot hébreu qui signifie un « bouc » ou le « bouc émissaire » ; c’est également le nombre du mot grec « duo », signifiant « deux ».Le double est l’eidolon, la poupée ou l’ombre, que les anciens Égyptiens ont transcrit par le Tat qui est équivalent à Doth. Daath est également la demeure de Choronzon, la Gardien de la Porte des Abysses. En rassemblant toutes ces significations, nous percevons que la Connaissance de Daath, ou Mort, ressort de la nature de la Dualité représentée par l’ombre ou le double magique par lequel un homme vainc la mort et pénètre par cette porte de Daath afin d’explorer la Demeure de Choronzon, « le désert de Set ».

Daath en tant qu’enfant de Hokhmah et de Binah se voit attribué Uranus qui indique la nature hautement explosive de cette « connaissance ». Neptune, en tant que Hokhmah, est une forme de Hadit, et Saturne, en tant que Binah, est une forme de Nuit. Cette connaissance, par conséquent, est la connaissance de la Vie qui est également la connaissance de la Mort et, comme telle, elle suggère la nature sexuelle de sa formule. Dans le Livre de la Loi, Hadit déclare :

Je suis la flamme qui brûle dans le cœur de tous les hommes et au sein de chaque étoile. Je suis la vie et celui qui donne la vie, cependant avant est la connaissance de moi, la connaissance de la Mort.

Si au lieu de mort nous lisons Daath, le verset revêt une signification plus profonde, car il est alors compris comme étant la clé secrète de la fonction d’Hadit. Hadit est Shaïtanou Set, le Seigneur du Désert et de la Grande Porte du Gouffre dont le gardien est Choronzon. Le mot ou le nom Choronzon est probablement une corruption de Chozzar (le dieu de la magie atlantéenne, ndt) dont le symbole, le trident, l’associe à Neptune-Nodens, le Dieu des profondeurs. Ainsi, Hadit (Neptune) et Nuit (Saturne), les principes dualistes de la vie, se combinent pour former le principe inversé ou choronzonien de Daath et Mort ; car cette connaissance (Daath) est l’inverse, le revers, ou l’arrière de l’Arbre.

Daath fut décrite par les cabalistes comme étant la fausse Sephirah car elle n’avait pas de place définie dans le schéma des nombres de 1 à 10, aucun lieu qui soit dans la dimension représentée par le devant de l’Arbre. Par conséquent, on considéra qu’elle était la onzième Sephiroth. Onze est le nombre de la magick, de « l’énergie tendant aux changements », qui est la formule précise de l’Opération de Daath et la raison de son association avec la mort en tant que changement suprême.

Le II (deux) et le 11 (onze) se rencontrent donc en Daath, la sphère de la connaissance, car la connaissance n’est possible que là où il y a de la dualité (deux, duo, II).

À peu près à la même période, l’artiste Austin Osman Spare, travaillant dans une même optique, réalisa que pour devenir Dieu, l’homme devait régresser vers l’état primal ou original de conscience. Voilà l’ultime logique derrière les essais effectués par les occultistes de toutes les époques de se mouvoir d’arrière en avant dans les profondeurs de l’Arbre, retournant ainsi vers l’état primordial de conscience avant que Kether n’ait transmis l’influx de la manifestation de l’œil dans le vide (Ayin). De nombreux magiciens entreprennent ce voyage à rebours, leur conscience assumant alors les formes de vies larvaires qui précèdent l’humanité. Ensuite, le Singe de Toth se moque d’eux tandis qu’ils se débattent afin de s’extraire d’une inversion de la conscience s’accélérant doucement pour les mener vers le néant total.

Nous pouvons donc poser les anti-mondes en basant l’application de chaque Sephirah à son opposé, obtenant ainsi un bref aperçu non seulement de l’arrière de l’Arbre, mais de l’ensemble de l’avers de l’Arbre par rapport à son revers qui constitue le monde des apparences. De cette façon, nous pouvons formuler non seulement un anti-monde ou une zone d’anti-matière, mais également une zone d’anti-esprit représentée par Kether inversée derrière Malkhuth. Mais ne tombons pas dans l’erreur de Frater Achad en considérant ces spéculations comme des réalités de la conscience spirituelle. À la place, utilisons l’idée que nous avons de ces spéculations comme catapultes pour nous propulser dans les espaces intérieurs de la conscience qui comportent, chacun à leur tour, l’enfer ou le trou de chaque zone de pouvoir » – Grant, Nightside of Eden, pages 9 à 11.

L’Arbre du Côté Nocturne est assez étrange, en vérité. Il ne s’agit pas ici d’une simple représentation des éléments négatifs du système kabbalistique originel, mais une complète inversion du système lui-même, un univers alternatif, parallèle pouvant être atteint au travers de Daath, par la Porte de Choronzon.

Ainsi, Grant, en suivant et en adaptant les enseignements de Crowley, développe une mythique personnelle. Il associe Daath aux « Frères Noirs », « à ceux qui ne perçoivent l’univers que comme une réalité objective ». Issus d’étoiles mortes, ce sont les persécuteurs chrétiens ayant perverti et inversés la Gnose préchristique.

Daath est la Porte des Abysses, contenant la « Tour jumelle » ou « Tour maléfique », le Pylône de Choronzon. Tiphereth devient le Phallus de Feu (serpent de feu). Netzach, ou Vénus, représente l’œil et sa lumière, la fantaisie de la chair. Et tout l’Arbre est réinterprété à la même eau…

Choronzon 333 devient la moitié de la Bête 666 unie à Babalon et associé au Chaos. Son Pylône est gardé par Shugal (dont le nombre est 333), une forme de Set, celui qui hurle dans le désert et annoncé par Lovecraft sous le nom de Al-Azif, « le mot utilisé par les Arabes afin de désigner le son nocturne que l’on attribue aux démons ». « Shugal-Choronzon (333+333) est la Double Bête, la Bête aux Deux Dos ; l’Ajna et l’Anajna sont les deux queues qui dans leur entrelacement forment le tunnel secret de Set » (Grant, Outside the Circles of Time).

À noter qu’en hébreu, le renard (Shugal) se dit shoual (שועל), Shin, Vav, Ayin, Lamed dont la somme vaut : 300+6+70+30=406 et non 333. Mais c’est là un détail qui ne semble pas trop gêner ni Grant ni ses sectateurs…

Ci-contre, nous reproduisons la table des sigils qliphothiques correspondant aux 22 lettres hébraïques, aux 22 Arcanes du Tarot et aux 22 sentiers de l’Arbre des Sephiroth. Il fut publié par Crowley dans le Liber CCXXXI (The Equinox, volume I, numéro 7) et reproduit par Kenneth Grant dans la seconde partie de son Nightside of Eden, page 138, sous le titre « Les Sceaux des 22 Sentinelles des Tunnels de Set ».

Les Qliphoth, les séquelles, Spartakus FreeMann, janvier 2010 e.v.

Sources et informations complémentaires sur ce site :

« Kenneth Grant, Sa vie, son oeuvre [1] » par Melmothia.

« Kenneth Grant, Sa vie, son oeuvre [2] » par Melmothia.

« Les Qliphoth au sein de la magie occidentale », par Spartakus FreeMann.

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