Par Didier Lacapelle
Il y a quelque temps, l’heureux administrateur du blog Theognosis a rédigé une critique plutôt éclairée du Chaos Compendium de Peter J. Carroll, compilé et traduit par vos serviteurs. Avec son aimable autorisation, nous la reproduisons ici.
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On l’a déjà dit : tout ce qu’on raconte ici sur la création de la réalité par le mental est connu depuis longtemps. De certains.
Peter J.Caroll commence là où je m’arrête. Son ouvrage Chaos compendium – La magie des Illuminati de Thanateros est une compilation d’articles sur le courant magique dont il est le plus célèbre représentant : la Magie du Chaos. L’ouvrage est édité chez les désormais classiques éditions Camion noir, et traduit par Soror D.S. (dont j’ai trouvé le portable dans les pages blanches c’est dire si les multiples pseudos ça sert à rien) et Spartakus FreeMann. Plus un manifeste qu’un ouvrage pratique, il permettra de se familiariser avec les postulats de la Magie du Chaos.
Caroll fait remonter ce courant à Austin Osman Spare, qui s’est détaché des rituels complexes d’Aleister Crowley pour une magie plus personnelle et instinctive, de philosophie anarchiste.
La Chaos Magic, c’est une magie qui comprend mieux les lois selon lesquelles elle fonctionne. La science permet de mieux connaître les lois de l’univers, et la Chaos Magic ne se prive pas de se référer à la physique quantique pour dire qu’elle prouverait la réalité de la magie. La religion vraie nous donne la cosmologie vraie. Et la magie a de tous temps été la pratique liée à ces lois et cette cosmologie, la pratique ayant une certaine avance sur la théorie.
On pourrait dire que la Chaos Magic se sert d’une meilleure science et d’une meilleure cosmologie pour se doter d’une meilleure assise théorique, et se débarrasser ainsi des oripeaux inutiles de la vieille magie. Science, spiritualité et magie évoluent de conserve, c’était prévisible.
On aurait ajouté autrefois la philosophie, attendu que la science, la religion et la philosophie vraies sont toutes trois une voie vers la vérité. Mais la philosophie aujourd’hui n’est plus qu’une science dont les hypothèses ne seraient pas testées, une religion du faux et une magie qui s’ignore.
Le principe premier de la Chaos Magic est qu’une croyance est un moyen et non une fin. Caroll dit « Devenir magicien ne suppose qu’une seule chose : l’acceptation d’une croyance ».
Il poursuit : « Il est assez facile de voir comment des gens, et même des cultures entières, sont rendus à la fois puissants et impuissants par les croyances qu’ils observent ».
« Toute structure sociale n’est rien de plus que le résultat d’un processus mental ». (Traducteurs)
C’est tout simplement ce que j’écrivais encore récemment. Les structures sociales, les concepts du langage, les croyances ordinaires sont des inventions du mental. Après avoir créé en théorie la justice, le mérite, etc. elle crée réellement les structures sociales qui manifestent les notions de justice ou de mérite. Des corps de magistrats et des tribunaux. Des élites diplômées. Je poursuivai en disant qu’il me fallait déterminer quelle croyance, et même quelle personnalité, me seraient les plus utiles.
Pour la méthode, le mage doit arrêter la pensée discursive (stopper le monde chez Castaneda, non-pensée bouddhiste, méditation simplement pratiquée de manière correcte. Ici on parle de « Gnose ».). On se concentre alors sur une représentation symbolique du désir.
Caroll affirme aussi fort justement que notre volonté n’est pas libre. Il n’existerait même pas de moi authentique, constitués que nous sommes de personnalités multiples, se manifestant au gré des circonstances.
Là nous commençons à diverger. Je connais ces personnalités multiples, je sais qu’elles s’accrochent comme des parasites, et que nous ne sommes pas à même de les contrôler le plus souvent. Je connais aussi les émotions qui s’accrochent au corps physique et fixent les croyances de telle manière que l’on ne peut pas les choisir. S’il n’existait pas de moi réel, il n’y aurait rien pour décider quelles croyances et quelles émotions manifester. Elles s’imposeraient d’elles même et il n’y aurait pas de magiciens. Pour l’homme ordinaire, ce sont les croyances, les émotions, les multiples personnalités qui gouvernent. C’est quand le moi authentique prend le contrôle sur ses croyances et ses émotions qu’apparaît le magicien. Curieusement, après avoir affirmé l’absence de moi authentique, Caroll introduit ce moi authentique à travers le concept de Kia.
Les magiciens du chaos croient qu’il n’existe pas de vérité objective en dehors de leurs perceptions, qu’il n’existe pas de causalité, pas de loi en dehors du chaos. Mais pourquoi Caroll fait-il alors appel à la physique quantique ? La nature quantique, ce sont des lois différentes des lois déterministes de la mécanique, mais ce n’est pas l’absence de lois. Et le chaos n’est pas le contraire de la causalité mécanique, seulement un mot fourre-tout qui permet de ne pas avoir à exprimer les lois de la nature que l’on ne maîtrise pas encore. Par ailleurs, ce sont les perceptions qui nous donnent accès à la réalité, mais il y a bien une réalité en dehors des perceptions. Le rouge n’existe pas, mais la longueur d’onde à 400 nm existe bel et bien et l’énergie existe. C’est ce que comprennent ordinairement les magiciens, à savoir qu’il existe une réalité éthérique, constituée d’énergie, dont la réalité sensible n’est que la projection. De ce point de vue, décréter l’absence de réalité extérieure aux perceptions est une régression pour la magie.
Les propositions de la magie du chaos sont parfois inquiétantes. En décrétant l’absence d’un moi authentique, elle décide de s’identifier à la personnalité parasitaire comme si le mage pouvait la contrôler sans le moi. En décrétant que seul ce qui est perçu est réel, on revient au matérialisme philosophique, qui a de tout temps été l’antithèse de la pensée magique. C’est une magie qui ne ferait que pratiquer mais choisirait d’ignorer les causes.
Oui, la magie fonctionne, mais non, tout n’est pas possible. Nous n’avons même pas tous les mêmes capacités. Les émotions non maîtrisées se feront maîtresses. Les dettes karmiques ne nous oublieront pas. L’incarnation dans des corps humains impose des limites terribles. Quelqu’un qui fait de ses propres perceptions la seule réalité est une dupe parfaite. Puisque ses perceptions sont faites selon ses désirs, il prend donc ses désirs pour la réalité.
Nous avons le choix de ce que nous allons manifester. J’ai tendance à considérer que cela se résume à deux alternatives générales : prendre résolument ses perceptions pour la réalité, ou considérer que la réalité existe et choisir d’en étudier les véritables lois.
La seconde option ne me paraît pas incompatible avec les pratiques habituelles de la Chaos Magic, mais elle en récuse violemment la philosophie.
Cependant, Peter Caroll s’intéresse à la physique quantique. Il semble donc que les lois l’intéressent, même s’il prétend paradoxalement qu’il n’y en a pas. La Chaos Magic, une fois mis de côté l’aspect entropique et dangereux propre à toute pratique personnelle, est une magie up to date, facile d’accès et donc très propice à une étude approfondie de ces lois.
La Magie du Chaos, Didier Lacapelle, 2010. Theognosis – La théurgie généraliste.
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Extrait des commentaires – pour éviter de devoir répéter ce que j’en pense :
Commentaire n°11 posté par Melmothia le 27/01/2011 à 22h07
Analyse et critique très justes de l’ouvrage et de la pensée de Peter J. Carroll. J’y perçois les mêmes intérêts et les mêmes limites, notamment un investissement du terme « chaos » (chaos vs ordre, mathématiques du chaos, chaos sauce au poivre, etc.) qui n’a pas lieu d’être. La Chaos Magic est une magie adogmatique qui utilise la croyance comme moyen. Point. Elle aurait pu aussi bien s’appeler Fitness Magic ou Pouet Magic, il se serait trouvé quelques uns pour adorer le grand Dieu Pouet et mouliner du cortex à son sujet. En raccourci, Peter J. Carroll finit par faire ce qu’il reproche aux autres : après avoir chassé le dogme par la porte, il le regarde revenir par la fenêtre. Idem pour son relativisme de moins en moins relatif. Beaucoup de ses idées demeurent néanmoins très intéressantes.
Pour finir, Peter J. Carroll n’est pas le seul théoricien de la Chaos Magic. Il est certes l’un des plus connus et le fondateur de l’IOT, mais d’autres façons, parfois très différentes, d’aborder et de théoriser le domaine existent. Voir par exemple Phil Hine ou Ramsey Dukes.
Melmothia (Soror D.S.)
ps : Je n’ai que deux pseudos et puis d’abord, j’ai pas le téléphone *fait blblbl avec la langue les doigts dans les oreilles*
Réponse de Didier le 28/01/2011 à 16h41
Je suis bien content que ma recension t’ait plu. Ne pratiquant pas, j’avais peur d’être un petit peu à côté de la plaque.
Je t’appelle ce soir ; )
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