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Croisades antisatanistes : l’Enfer du décor

Croisades antisatanistes : l’Enfer du décor par Melmothia 

 « Je me suis demandé comment, au sein de ma petite ville de l’Iowa, je pouvais tuer et manger 2 000 personnes par an sans que personne ne remarque quoi que ce soit » – Pat Burgus.

Sigillum Diaboli

En 1987, l’un des prêtres du lycée catholique dans lequel je préparais mon bac fit circuler dans les classes une plaquette destinée à avertir les adolescents que les disques de hard rock contenaient des messages subliminaux susceptibles de pousser au suicide, au meurtre et bien entendu au culte de Satan [1]. L’idée qu’écouter Iron Maiden puisse conduire à égorger rituellement des bébés fit franchement marrer le petit groupe de métalleux de l’établissement dont je faisais partie. Il ne faisait pour nous aucun doute que les auteurs de cette perle étaient d’affreux intégristes religieux. Nous étions par ailleurs persuadés qu’en des temps reculés, notre apparence et nos goûts nous auraient conduits droit dans les tribunaux de l’Inquisition – ce en quoi nous nous trompions lourdement, mais je ne l’ai compris que longtemps plus tard et pour cela, il m’a fallu effectuer un détour par les histoires de « Satanic Ritual Abuses ».

Lorsqu’il y a quelques mois, j’ai tapé « Michelle Remembers » dans un moteur de recherche, je voulais simplement en savoir davantage sur un ouvrage réputé avoir déclenché, dans les années 80, une véritable « panique sataniste » aux États-Unis. Trente ans ont passé et un fait est désormais certain : durant cette panique qui a consisté à imputer d’innombrables et horribles crimes aux membres de soi-disant réseaux satanistes, il n’y a jamais eu ni crime ni sataniste.

Par contre, il y a eu des victimes. Des centaines de sacrifiés dont la vie a été brisée en raison de fausses et souvent ridicules accusations. Aucun fan de métal, cependant. Ni occultiste, ni gothique, ni néopaïens, aucun joueur de Donjon & Dragon et aucun membre de la radicalement athée et très ennuyeuse Église de Satan. Loin d’appartenir aux épouvantails classiques, les accusés étaient des instituteurs, des éducateurs, des assistantes sociales, des gens ordinaires.

Dès les premières accusations de SRA (Satanic Ritual Abuse), des voix sceptiques se sont élevées, mais la cohorte des bien pensants les a fait taire. Il fallut attendre le début des années 90 pour que des journalistes, enquêteurs privés & magistrats publient des articles et ouvrages dénonçant les procès comme une véritable « chasse aux sorcières », démontant les dossiers, soulignant l’absence de preuve, s’autorisant à réfléchir sur le phénomène.

En France, nous n’avons bénéficié que d’échos affaiblis de la tempête : la plaquette anti rock’n’roll de Regimbal, le fameux procès de Judas Priest où l’on voit de très sérieux enquêteurs écouter « je veux boire une limonade » sur un enregistrement passé à l’envers. Des personnes de ma génération que j’ai pu questionner, aucune n’était « au courant ». J’ai donc décidé de vous faire partager mes découvertes.

Classiquement, il y a deux façons de se défendre contre ce type d’histoires, identiquement délétères car toutes deux renvoient la monstruosité à la charge de l’autre – autant dire qu’elles participent précisément du mécanisme qui conduit à dresser des bûchers. La première consiste à éloigner le problème pour le localiser loin dans le temps et l’espace – c’est arrivé ailleurs, avant, ou comme je l’ai entendu plusieurs fois : « ils sont fous ces Américains ». Cette stratégie se satisfait le cas échéant d’une cause, sociale ou psychologique. L’identification d’une désignée « crise » par exemple donne l’impression d’avoir résolu quelque chose.

L’autre façon de se défendre et la technique de la glissade. Ces affaires-là seraient certes d’affreuses erreurs judiciaires, mais les meurtres satanistes perpétrés par d’horribles sectes, ça existe vraiment, n’est-ce pas ? Eh bien, vraiment pas.

Il reste aujourd’hui très peu de voix défendant l’existence des SRA, mais les légendes urbaines et les lynchages populaires conservent leur pouvoir de séduction. Les méfaits imputés aux soi-disant satanistes ne diffèrent en rien de ceux dont furent accusés les premiers chrétiens, puis les Juifs, les francs-maçons et beaucoup d’autres. Pendant très longtemps j’ai cru qu’un signe distinctif, un sigillum diaboli en somme, désignait les victimes de la vindicte populaire. Mais ce clivage n’est qu’un trompe-l’œil. L’hystérie collective n’a pas besoin d’une raison ni d’une appartenance, simplement d’une excuse. Nul besoin d’un référent au réel, seulement d’arguments paranoïaques. Et il n’est nul besoin de preuve non plus puisque « tout le monde sait ».

L’exploration des croisades antisatanistes m’aura donc au moins permis cette conclusion tardive : contrairement à ce que mes amis fans d’Iron Maiden et moi-même pensions, nous n’avons pas plus de chance que n’importe qui de finir sur le bûcher.

Techniques pour paver l’enfer

La notion de « personnalité multiple » fut créée en 1888 pour décrire le cas de Louis Vivet, un malade ayant changé radicalement de personnalité à plusieurs reprises durant son existence et capable, grâce aux bons soins de ses thérapeutes, de sautiller de l’une à l’autre. Interné à plusieurs reprises, Louis Vivet fit la joie de ses médecins Bourru et Burot qui concluaient dès 1895 : « Ces faits de variation de la personnalité sont moins rares qu’on ne le suppose ». Il est vrai que la psychologie moderne nous a enseigné que, selon la formule de Nietzsche, « l’identité était une grande illusion » et que nous étions scindés en plusieurs couches psychiques. Jusque-là, cependant, la psychiatrie se contentait de compter jusqu’à deux. Avec Vivet, écrivent Bourru et Burot en 1888 : « Nous n’en sommes plus à l’alternance de deux personnalités, nous voilà en présence de toute une série d’états successifs et différents ! ». Mais tandis que les deux médecins enthousiastes photographient Louis Vivet dans chacune de ses dix variantes, certains observateurs émettaient l’hypothèse que le phénomène puissent être iatropique, c’est-à-dire résulter de l’interaction entre le patient et ses médecins.

En 1954, le roman de Shirley Jackson Le Nid De l’Oiseau fit connaître ce syndrome controversé au grand public : l’héroïne, insomniaque et sujette à des maux de tête, y découvre grâce à l’hypnose qu’elle possède trois personnalités différentes. La même année parut l’ouvrage Les trois visages d’Ève dont les droits cinématographiques furent immédiatement achetés par le réalisateur Nunnally Johnson désireux de profiter de l’intérêt tout frais du public pour ce qu’on appelle désormais les TPM (Trouble de la Personnalité Multiple). Mais c’est un autre best-seller paru en 1973 qui transforma le syndrome en un véritable phénomène de société et tissa le lien dorénavant classique entre TPM et maltraitances sexuelles. L’ouvrage Sybil, signé par une journaliste spécialisée dans les publications psychiatriques, Flora Rheta Schreiber, retrace le parcours d’une jeune femme ayant développé pas moins de seize personnalités. Au fil d’une thérapie de « mémoire récupérée », la patiente se « rappela » des abus sexuels dont elle avait été victime de la part de sa mère, et ce dès l’âge de six mois.

Le trouble de la personnalité multiple vient de se trouver une étiologie à laquelle il restera accolé durant plus de vingt ans : amis psychothérapeutes, si votre patient se démultiplie, c’est qu’il a été abusé pendant l’enfance !

En réalité, l’idée n’est pas neuve. Elle est même déjà refroidie lorsque les partisans de la « mémoire retrouvée » s’en emparent. En 1896, Freud donna une conférence sur l’étiologie de l’hystérie dans laquelle présenta sa « théorie de la séduction ». Les troubles de ses patientes seraient dus à des violences sexuelles subies dans l’enfance, dont le souvenir pourrait ressurgir en cours de thérapie. Quelques mois plus tard, cependant, Freud révise ses vues : les violences sexuelles ne sont pas réelles, ce sont des fantasmes nés de pulsions refoulées.

En 2006, Robert Rieber, professeur à la Fordham University, démontra que l’histoire de Sybil, qu’il qualifia de « canular »,  avait été entièrement fabriquée. Ce détail fâcheux n’empêcha pas le TPM de poursuivre sa carrière au cinéma, dans les talk-shows et d’emporter les faveurs du grand public. Un intérêt qui conduisit les concepteurs du Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, à introduire ce trouble dans la troisième version du manuel : le DSM-III.

Aux livres et aux films va succéder une recrudescence de cas. En 1979, la littérature médicale ne recense encore que 200 cas aux États-Unis. En 1999, on estime qu’il y en a 50 000 :

« En dépit de ces commentaires infirmatifs, le livre et les films de télévision qui lui succédèrent devinrent progressivement plus populaires et Sybil, plus même qu’Ève lors de la décennie précédente, devint un modèle de TPM ayant largement influé sur les attentes, à la fois des thérapeutes et des patients. Par conséquent, quand des patients TPM affirment ne pas se souvenir avoir été abusés, leurs thérapeutes tendent à se montrer incrédules et les aiguillonnent avec insistance dans la tentative d’exhumer de tels souvenirs. Quand ces patients expriment leurs soupçons quant à la nature probablement fantaisiste de leurs souvenirs d’abus, leur incertitude peut leur être présentée comme évidence à l’appui de leur mauvaise volonté à affronter la réalité de l’authenticité de leurs souvenirs » [2].

Un argument qui sera ultérieurement présenté lors des procès : si l’enfant affirme avoir été victime d’abus sexuels, alors l’accusé est coupable. Si l’enfant affirme ne pas avoir été abusé sexuellement, c’est qu’il refoule l’agression, donc… l’accusé est coupable.

Résumons : à la suite d’un livre bidon, un trouble psychologique qui n’existe peut-être pas a été mis en relation avec des abus sexuels dont aucune preuve n’a jamais été découverte, grâce à des psychothérapeutes utilisant des méthodes contestées pour induire de faux souvenirs.

Et là dessus, arrive Michelle.

Une rumeur à la recherche d’une inquisition

Dès le milieu des années 70, des rumeurs concernant l’existence de sectes sataniques dont les membres pratiqueraient la torture, le viol, le meurtre et le cannibalisme ont commencé à se répandre aux États-Unis. Mais jusqu’en 1980, ces histoires côtoyaient les escamotages de reins dans des chambres d’hôtel et les invasions de crocodiles dans les égouts new-yorkais. Pour faire sortir l’épouvantail sataniste des légendes urbaines, il faudra le secours d’une imposture psychiatrique. En 1980 paraît un ouvrage destiné à devenir un best-seller : Michelle Remembers. Coécrit par écrit par Michelle Smith et son psychiatre Lawrence Pazder, l’ouvrage raconte les années de thérapie de la patiente qui se rappelle, au fil de longues séances d’hypnose, avoir été soumise aux pires violences par une mère adoratrice du diable. Grâce au succès du livre, Lawrence Pazder s’institua expert en « Satanic Ritual abuse », au point d’être engagé comme consultant dans le procès McMartin en 1984.

Or, les allégations de Michelle Smith sont particulièrement incohérentes. Les témoins interrogés diront que la mère de Michelle était parfaitement normale, que l’enfant n’a jamais manifesté de troubles comportementaux ni manqué l’école (alors qu’elle prétend avoir été séquestrée 81 jours d’affilée), et lorsque Anton LaVey menace de poursuivre le couple pour diffamation, l’Église de Satan d’abord incriminée dans l’ouvrage, disparaît miraculeusement des accusations. Et ce n’est pas la seule disparition miraculeuse, car dans Michelle Remembers, on apprend qu’après toutes les horreurs que lui ont fait subir pendant de longs mois les adorateurs du diable, Jésus-Christ, la vierge marie et l’archange Gabriel sont intervenus en personne pour effacer ses cicatrices.

En 1990, le livre sera dénoncé comme une mystification, mais entre temps l’histoire, largement relayée par la radio et la télévision, aura trouvé un public tout prêt à lui prêter foi et surtout à dresser des bûchers. Car ainsi que le formule Sherril Mulhern, l’antisatanisme est essentiellement « une rumeur à la recherche d’une inquisition ».

 Sodomisé par un lion

Le 12 août 1983, une certaine Judy Johnson, âgée de 38 ans, souffrant depuis plusieurs années de troubles mentaux aggravés par l’alcoolisme, appela la police pour dire que son fils avait été abusé sexuellement par l’un des employés de sa crèche. Dans ses dépositions, elle précisa que l’enfant, âgé de deux ans et demi, avait été conduit dans des tunnels sous l’école pour participer à des rites satanistes, forcé de boire le sang d’un bébé, puis enlevé en avion dans un autre pays pour participer à un sabbat au cours duquel des sorcières volaient sur des balais. Billy avait été également sodomisé par un lion et enterré vivant. Judy Johnson ajouta enfin que les membres du club de fitness de son quartier appartenaient à une secte d’adorateurs du Diable.

C’est ainsi que débuta le procès le plus long et le plus onéreux de l’histoire des États-Unis : l’affaire de l’établissement préscolaire McMartin qui dura 7 ans et coûta 15 millions de dollars à l’état. Car, au lieu d’indiquer à Judy Johnson les urgences psychiatriques les plus proches, les forces de police prirent son témoignage très au sérieux et demandèrent par courrier aux parents des autres enfants si par hasard leurs bambins n’avaient pas subi d’abominables tortures dans les sous-sols de l’école.

Il faut dire que la parution, trois ans plus tôt des déboires de Michelle, satanisée de tous les côtés par sa famille, avait rendu plausible pour les forces de l’ordre la sodomie d’un enfant de deux ans par un lion dans des catacombes creusées sous une crèche et son transport en avion à quelques milliers de kilomètres pour participer à des messes noires.

Sous l’influence de psychothérapeutes, de travailleurs sociaux, d’officiers de polices et de magistrats convaincus de la réalité des faits, en quelques années des centaines de personnes seront arrêtées et condamnées pour ‘abus rituel sataniques’. Des associations seront créées pour venir en aide aux victimes, des fonds débloqués par les gouvernements des différents états, des équipes de psychologues seront chargées de mettre au point des méthodes pour dépister les abus chez les enfants.

Pour ne prendre qu’un exemple, un professeur du nom de Dale Akiki sera accusé d’avoir sacrifié des lapins, un éléphant et une girafe dans la cour même de l’école, d’avoir sodomisé des enfants avec un fer à friser, de les avoir forcés à avaler des excréments avant d’égorger un bébé sous leurs yeux, tout ceci s’étant déroulé alors que d’autres enseignants se trouvaient sur les lieux sans rien remarquer. Malgré l’absence totale d’indice matériel, le professeur fut poursuivi et condamné à perpétuité. Il fut cependant acquitté avoir passé deux ans et demi en prison. Beaucoup d’autres n’eurent pas cette « chance ».

En 1988, Jacquie Balodis, dirigeante de l’organisation antisataniste Overcomers Victorious, estime ainsi que « 50 000 êtres humains sont sacrifiés chaque année aux États-Unis durant des rites sataniques… Les corps ne sont jamais trouvés parce qu’ils sont mutilés, mangés, brillés ou enterrés », précise-t-elle, tandis que Larry Jones, officier de police à Boise, dans l’Idaho, assure que « les membres de cette violente (pseudo) religion sont plus de 300 000 ».

Faux et vrais abus

Pendant que des innocents voient leur vie brisée, d’autres s’en mettent plein les poches. C’est le cas par exemple de l’évangéliste Mike Warnke qui prétendit durant des années être le grand prêtre repenti d’un convent de sorcières de 1500 membres. Longtemps considéré comme une référence incontournable, son règne médiatique se termina lorsque les journalistes Jon Trott et Mike Hertenstein ouvrirent une enquête en vue de rédiger un article pour l’hebdomadaire Cornerstone ; ils découvrirent que non seulement toutes ses allégations étaient mensongères, mais que l’argent que Mike Warnke réclamait aux spectateurs et aux associations pour lutter contre le satanisme disparaissait entièrement dans sa poche.

Un autre énervé de l’antisatanisme est le révérend Larry Jones, Lieutenant of the Boise Police Department, auteur d’une newsletter intitulée « File 18 », qui parut de 1986 à 1989 et dans laquelle on pouvait lire que 40 000 à 60 000 crimes rituels satanistes avaient lieu chaque année en Amérique. On y trouve également une sorte de variante sorcière des Protocoles de Sion, « The Seventh letter », dans lequel un soi-disant groupe appelé « The Witches International Coven Council Associate » aurait défini ses objectifs comme suit (extrait) :

« Réunir tous les convents, pratiquant la magie noire comme la magie blanche, et en prendre la direction – ACCOMPLI.

Influencer le marché financier afin de favoriser les dettes individuelles qui causeront causer discorde et mésentente au sein des familles – ACCOMPLI.

Assurer son emprise sur les plus jeunes :

– En infiltrant les associations et clubs des enfants et adolescents.

– En infiltrant les écoles pour en supprimer l’éducation religieuse et inciter les enseignants à faire l’apologie de la drogue et du sexe.

–  En incitant à la rébellion contre les parents et contre toute forme d’autorité – ACCOMPLI.

Accéder à des informations sur les citoyens :

– Par l’utilisation des ordinateurs

– Par l’infiltration – ACCOMPLI.

Faire modifier les lois à notre bénéfice :

– Retirer les enfants du milieu familial et de les placer dans nos foyers d’accueil.

– Placement obligatoire des enfants dans nos crèches.

– Augmentation des impôts.

– Accès à la drogue et à la pornographie pour tout le monde – PAS ENCORE ACCOMPLI.

Destruction progressive des organismes gouvernementaux :

– Par des dépenses excessives.

– Par la propagande – PAS ENCORE ACCOMPLI.

Etc.

Et Larry Jones de conclure : « Ce texte a été divulgué lors du solstice d’été, le 21 juin 1986… A également été décidé à cette occasion que tous les convents devront enlever et sacrifier des adultes ou des enfants le 24 de chaque mois, durant les onze prochaines années, époque à laquelle le Witches International Coven Council Associate  s’attend à avoir pris le contrôle total de la société… Peter Michas, un pasteur chrétien, expert dans le domaine du satanisme et de la musique heavy metal, affirme que cinq buts et six ont déjà été accomplis, du moins à un niveau satisfaisant, et que le septième est d’ores et déjà « annoncé » au public grâce aux pochettes d’albums de groupes satanistes populaires comme Ozzy Osborne. En rassemblant certains indices découverts sur ces pochettes d’albums, Michas a conclu que le septième but correspondait à une énorme augmentation de l’activité satanique au cours des treize prochaines années, qui culminera avec l’avènement du règne physique de Satan sur Terre le 21 juin 1999… »

Zut. Loupé.

Séquelles

À force de ne jamais retrouver ni cadavre, ni preuve, ni aucune trace physique des violences sur les enfants et après 15 années d’hystérie collective, l’existence de la conspiration sataniste commença à être remise en cause vers le milieu des années 90. Des études furent conduites à la fois par des universitaires, le FBI et des enquêteurs indépendants. Ainsi, en 1990, une étude financée par le National Center on Child Abuse and Neglect, fut commandée à des chercheurs de l’université de Californie qui passèrent quatre années à étudier plus de 12 000 accusations et interroger plus de 11 000 membres des services sociaux, psychiatriques et de la magistrature. Malgré leur bonne foi et leurs efforts, dans tous ces dossiers aucune preuve ne put être découverte en faveur d’un seul cas de SRA.

Il est aujourd’hui admis que cette « panique satanique » n’a été qu’une chasse aux sorcières dont les véritables victimes furent en premier lieu les innocents jetés en prison, puis les enfants, arrachés à leur famille et convaincus d’avoir été violentés :

« D’un point de vue psychologique, il est prouvé que les enfants des maternelles chez qui on avait fait naître le faux souvenir d’avoir été violés dans des tunnels ou sodomisés au fer à friser, ont souffert de divers symptômes pathologiques d’ordre clinique. Mais ces symptômes sont apparus après et non avant que les spécialistes de la protection de l’enfant ne les interrogent. Il est aussi prouvé, documents à l’appui, que de nombreux patients soignés par la mémoire retrouvée, loin d’être soulagés, ont vu leur état empirer après le début du traitement. Ces réactions pathologiques chez les enfants interrogés et les patients traités sont, de toute évidence dues aux effets de l’intervention. Le pire étant que les chercheurs de l’industrie de l’abus sexuel en ont profité pour attribuer ces nouveaux symptômes aux effets pathogènes de l’abus sexuel. » [3]

Vingt ans plus tard, les victimes ne portent plus plainte contre les satanistes, mais contre les psychothérapeutes. En mai 1994, le cas « Ramona » marqua un tournant : pour la première fois, un père accusé par sa fille à la suite d’une thérapie de mémoire recouvrée fut autorisé à porter plainte contre les thérapeutes de celle-ci.

La même année le Dr Bennett Braun fut suspendu pour avoir convaincu une patiente, à renfort d’hypnose et de drogues, qu’elle avait commis une véritable hécatombe au cours de rituels sataniques. Fragilisée après avoir été prise en otage lors de l’attaque à main armée d’un bureau de poste, puis par un accouchement durant lequel elle manqua de périr avec son enfant, Pat Burgus commença une dépression nerveuse en 1986. Internée dans l’unité psychiatrique du Rush-Presbyterian-St. Luke’s Hospital, l’un des établissements les plus prestigieux de Chicago, elle suivra durant 6 ans une thérapie avec le Dr Bennett Braun. Elle sera même la première patiente de l’unité « Dissociative Disorders Unit » qui vient tout juste d’ouvrir ses portes.

Sous l’influence du psychothérapeute, Pat Burgus se « rappela » que ses parents, en tant que membres d’une secte satanique, pratiquaient le cannibalisme. Elle affirma que son père, gérant d’une usine de Coca-Cola et fervent catholique, glissait des restes humains dans les hamburgers familiaux. Sur la lancée, le Dr Braun lui avait fait croire qu’elle possédait 300 personnalités, notamment celle d’un agresseur d’enfants, de la grande prêtresse d’un culte satanique et évidemment d’une cannibale. Comme elle l’a expliqué au Chicago Tribune : « Je me suis demandé comment, au sein de ma petite ville de l’Iowa, je pouvais tuer et manger 2000 personnes par année sans que personne ne remarque quoi que ce soit ». Les tribunaux ont condamné le Dr Braun et le Rush-Presbyterian-St. Luke’s Hospital à lui verser plus de 10 millions de dollars.

Ceux qui s’accrochent encore à l’hypothèse SRA ont développé diverses tactiques. Pour commencer, certains ont décidé de changer un terme désormais douloureusement connoté. Le satanisme n’étant plus à la mode, on parle désormais de « sadistic ritual abuse », ce qui permet d’éviter le vol sur balai et l’intervention de l’ange Gabriel, tout en conservant l’acronyme SRA. C’est par exemple le cas des auteurs Bass et Davis dans la réédition de leur ouvrage The Courage to Heal. D’autres se réfugient dans l’hypothèse complotiste : le FBI et le gouvernement protègent les réseaux satanistes. Pourquoi ? Eh bien sans doute parce qu’ils en sont !

Heureusement, certains sont plus lucides. Sur un forum consacré à la panique sataniste, un lecteur du fameux Satan’s seller de l’escroc Mike Warnke se déclarait perplexe quant aux apparitions de démons durant les rituels sous la forme de goules à demi décomposés : « J’ai du mal à croire à ce que cet auteur raconte, commentait-il. Surtout son histoire de morts-vivants apparaissant pendant les cérémonies. Je pense qu’il s’agissait en fait d’extra terrestres ».

Nous voilà rassurés.

Croisades antisatanistes : l’Enfer du décor, Melmothia, 2012.  

Notes :

[1] La plaquette en question était bien entendu Le rock’n’roll : viol de la conscience par les messages subliminaux de Jean-Paul Regimbal, paru en 1983. Malgré son caractère totalement délirant, ce livre a toujours ses défenseurs.

[2] Faux souvenirs et désordre de la personnalité multiple : Une perspective sociocognitive, Nicholas P. Spanos, De Boeck, 1998.

[3] « Étude des conséquences de l’abus sexuel sur enfants, à partir de cas non cliniques », exposé présenté au symposium patronné par paulus kerk à rotterdam, le 18 décembre 1998, par le Dr Bruce Rind, le Dr Robert Bauserman & Philip Tromovitch.

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