Des églises gnostiques au 21e siècle
« Nous ne sommes pas l’homme nouveau ou la femme nouvelle… Nous sommes des hommes & des femmes qui désirons changer & nous changer ; nous sommes des hommes & des femmes prêts à tout pour y parvenir. Nous ne vous demandons pas de voir en nous ce que vous voudriez être ou ce que vous supposez que vous devriez être ».
Sub-commandante Marcos
L’ Église Gnostique Chaote est née, au début des années 2000, du désir de dépouiller les ors et de revenir à une simplicité apostolique. Nous nous opposions alors aux conventicules gnostiques tombés entre les mains de simoniaques, de collectionneurs de titres et diplômes et autres « grands initiés ». Il apparaissait que la gnose n’était plus alors qu’une arrière-loge maçonnique, martiniste ou théurgique. En soi, ce n’est pas un mal, car on retrouve — parfois — une tension vers la Gnose dans ces groupes de bourgeois ennuyés cherchant un peu de théâtre spectaculaire. Non que nous ayons quelque chose contre la démarche de ces ordres ni contre la plupart de leurs membres, mais l’oppression hiérarchique et l’aliénation de la course à l’initiation sont, pour nous, incompatibles avec la démarche gnostique.
Nous voulions également nous distancier des mouvements gnosticistes aux systèmes alambiqués et, souvent, ineptes. Le gnosticisme, que l’on ne s’y trompe pas, est une source majeure de notre recherche, mais nous avons rejeté les carcans qui enferment l’individu dans un système l’opposant aux autres.
Nous rêvions d’une bande de mecs un peu fous, des apôtres des temps modernes ; des gueux sans feu ni lieu allant leur chemin afin de se réintégrer à la divinité et de propager le message gnostique qui nous libérerait — enfin ! — de cette prison aux noirs barreaux de fer. Nous rêvions d’une horde d’individus libres, égaux comme des frères et sœurs, d’hommes et de femmes avec une flamme brûlante d’agapè en leur cœur ; des êtres neufs régénérés par le baptême du feu gnostique et affranchis des chaînes mondaines.
« D’eux nous héritons le rejet de toutes formes d’élitisme & de despotisme ésotérique, gnostique, ancien & accepté, politique ou social. D’eux nous héritons cette envie crapuleuse de chaleur animale du groupe, de la meute, de la horde. Nous sommes les héritiers des païens & des sans dieux, des rebouteux & de ces femmes brûlées vives pour leur savoir, nous sommes les fils de ces putes & vierges filles de la Sulamite adorée, nous sommes les enfants oubliés de l’économie & du libéralisme esclavagiste & abhorré ».
L’Église Gnostique Chaote s’est refusée à imposer des dogmes ou des lois ; à peine a-t-elle quelques règles simples qui lui permettent de se maintenir depuis plus de dix ans. Point de patriarche, d’archevêque ou de pape mitré pour nous diriger ; nous sommes une zone d’autonomie permanente crachant notre dédain pour les structures mortifères du passé. Nous sommes des acrates !
De même tout notre corpus a été publié et distribué gratuitement : pas de secret fétide, pas de salmigondis ineptes dont on refuserait l’accès aux « profanes ». Dans notre gnose il n’y a pas de profane, il n’y a que des « cherchants » — et nos titres de clerc, de prêtre ou d’évêque ne sont que des marqueurs sur le chemin qui nous mène tous et toutes vers le même but. L’évêque n’est pas un chef, c’est un humble serviteur assisté de prêtres et de clercs ; les offices liturgiques demandent des officiants, mais ceux-là ne sont ni plus élevés ni plus grands que les fidèles ou les gnostiques non consacrés ou ordonnés. Rien de ce qui est utile ne sera caché ou mis sous le boisseau, la lampe de la Gnose brillera au vu et au su de tous !
À nouveau nous nous rions des farandoles comiques rythmées par des formules magicomiques puériles. Nous avons un trop grand respect pour la Lettre et l’Esprit de la Lettre ! Et si nos liturgies se démarquent de celles de nos autres frères chrétiens, ce n’est pas pour faire œuvre d’innovation, mais afin de vibrer selon notre diapason mystique. Il n’y a aucun secret autre que celui du cœur et du cheminement qui est le nôtre. De même nous nous insurgeons contre les messes copyrightées : avec ceux-là qui agissent ainsi, nous devrions payer pour entendre messe le dimanche ! Ceux-là ont-ils écrit les Évangiles et les Corpus gnostiques dont ils farcissent leurs écrits pour oser mettre des signes babyloniens sur la mystique ? On ne peut servir deux maîtres ; ils choisissent Mamon et ils ne le voient pas !
Et en ce mois d’avril de l’an de grâce 2016, nous observons avec tristesse le retour des vieux archétypes humains : des églises structurées comme des PME, des règlements, des statuts, des ors, de l’argent — encore et toujours ! —, des titres et des sous-titres… Et pire encore, une association contre nature entre un maçonnisme élitiste et moribond et autre société pseudo-initiatique et la Gnose au nom de Vérité (pour antiphraser Tertulien). Comme si la Gnose pouvait être grandie par des oripeaux désuets, comme si une église était une loge, comme si la Sophia avait besoin de gardiens par trop humains voilant sa sublime nudité…
On nous rétorquera maladroitement que les écoles gnostiques des temps anciens étaient élitistes et fermées au monde extérieur. Que nous importe l’exécrable manie archontique dont ces dernières pouvaient porter la tare ? Que nous importe que ceux-là aient trahi, aussi, le hurlement libérateur du Christ ? Les erreurs du passé ne sont pas les pierres d’angle d’édifices merveilleux !
Nous voyons l’avenir des églises gnostiques se profiler avec crainte.
Des églises gnostiques au 21e siècle, Ŧ Héliogabale, nadir de Libertalia, 10 avril 2016 A.D.