Michael Paul Bertiaux est un occultiste américain connu pour son ouvrage Voudon Gnostic Workbook (1988), un recueil de 615 pages d’enseignements occultes mêlant vaudou, néo-pythagorisme, Thélémisme et gnosticisme. Épuisé durant de nombreuses années, le livre a été réédité par Red Wheel – Weiser en 2007.
À la graphie « vaudou », Bertiaux préfère l’orthographe originale de « voudon » et a inventé le terme « vudutronics » (parfois écrit « voodootronics ») pour désigner son propre système religieux.
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Né le 18 janvier 1935, à Seattle, d’un père capitaine dans la marine marchande et d’une mère théosophe, Michael Bertiaux étudie dans une école catholique avant d’intégrer un séminaire de l’Église anglicane. Il exerce un temps comme prêtre d’une paroisse anglicane dans la région de Seattle, avant de se rendre à Port-au-Prince en Haïti en 1963, où il enseigne la philosophie dans une école catholique durant trois mois.
Selon ses dires, il est alors contacté par des groupes de religion vaudou qui lui demandent de les aider à faire connaître leur religion. Rapidement, il réalise que sa vocation mystique se trouve ailleurs que dans la religion anglicane et accède à l’initiation mêlée de vaudou et de martinisme délivrée par Lucien-François Jean-Maine dans son Ordo Templi Orientis Antiqua (OTOA), un ordre initiatique qu’il a fondé en 1921 en Haïti.
Le 15 mars 1963, Bertiaux est donc initié aux mystères gnostiques et vaudou. Il retourne ensuite aux États unis pour œuvrer à faire connaître sa nouvelle religion. L’année suivante, il quitte l’Église anglicane et travaille un temps au siège de la Société Théosophique à Wheaton, près de Chicago. Puis, en 1966, il s’installe dans la métropole où il fonde (entre autres), la Neo-Pythagorean Gnostic Church. Il restera près de 40 ans dans cette ville, fréquentant notamment la communauté haïtienne de Chicago. Il change en même temps de profession pour devenir travailleur social, une carrière qu’il va poursuivre jusqu’à sa retraite à la fin des années 1990. Son déménagement pour Chicago lui permettra finalement de retrouver son mentor, le Dr Jean-Maine, exilé d’Haïti sous le règne du président Duvalier.
Bien que Bertiaux dirige lui-même un groupe avec lequel il pratique, la majeure partie de ses enseignements se fait par correspondance. La librairie Magickal Childe a édité en 1988 une compilation d’une partie de ses cours, un document de plus de six cents pages, le fameux Voudon Gnostic Workbook.
La vie et l’œuvre de Bertiaux sont exposées dans les ouvrages de Kenneth Grant : Cults of the Shadow (1975), Nightside of Eden (1977), Outside the Circles of Time (1980) et Hecate’s Fountain (1992). Kenneth Grant et Michael Bertiaux ont commencé à correspondre dans les années 70. Pratiquaient-ils déjà tous deux l’occultisme Lovecraftien, ou Bertiaux a-t-il subi l’influence de Grant ? Voilà qui reste à déterminer. Il semble que Bertiaux ait mis en place un « convent Lovecraftien » cherchant à unir l’énergie aquatique des Profonds (les fameux Deep Ones) du texte « Le Cauchemar d’Innsmouth » avec celle des créatures à demi humaines de « L’Abomination de Dunwich ». Si l’on en croit Grant, ce convent aurait effectué une série de rituels s’appuyant sur les écrits de Lovecraft, notamment des rites sexuels à proximité d’un lac dans le Wisconsin – une région dont August Derleth prétendait qu’il était habité par le Mythe ! Cependant, ainsi que le rappellent Daniel Harms & John Wisdom Gonce : « Le compte-rendu que Grant livre dans The Cults of Shadow des activités de La Couleuvre Noire sonne comme si le groupe de Bertiaux était une version américaine de la New Isis Lodge avec de belles prêtresses copulant avec des monstres couverts d’écailles sur les rives de lacs déserts du Midwest ! ». À prendre donc avec un maximum de circonspection.
Depuis, Grant et Bertiaux ont suivi chacun leur chemin magique, mais des concepts puisés chez Grant sont encore abondamment utilisés dans La Couleuvre Noire, et Bertiaux continue de considérer Grant comme « Un adepte efficace et créatif ».
Les ouvrages de David Beth, Voudon Gnosis (2008) et The Occult Experience, de Nevill Drury paru en 1985, examinent également en détail le système de Michael Bertiaux.
Image extraite du site Aion.
Partant du vaudou, Bertiaux incorpore tous les autres systèmes de croyances, depuis la magie sexuelle de Crowley à la Théosophie en passant par le Shinto : « Neville Drury affirme que le système Bertiaux ressemble à l’Arbre kabbalistique dans lequel les noms hébreux seraient remplacés par leurs homologues vaudou. Mais aborder les choses ainsi implique de considérer que Bertiaux est parti de la kabbale or il a, en réalité, axé son système sur le vaudou qu’il a ensuite appliqué à la majorité des autres philosophies et systèmes mystiques par un processus qu’il a dénommé « Vudutronics ». Ainsi, alors que la Kabbale est basée sur le nombre 10, c’est au 16 que Bertiaux accorde une importance primordiale. Le système magique de Bertiaux ressemble à de la magie cérémonielle revisitée par des prêtres vaudou. En tant que tel, il est plus sombre que la Kabbale, les loas du Vaudou étant par nature plus ambivalents que le Dieu des Hébreux » [1].
Éclaté en plusieurs ordres et loges aux ramifications complexes, l’enseignement délivré par Bertiaux est procuré « sur mesure ». L’origine ethnique et le thème astrologique de l’adepte servent à déterminer quel type d’enseignement lui est le plus adapté – les femmes étant exclues de la majorité des cours. Bertiaux ne considère cependant pas le fait d’être écarté d’un système comme le signe d’une inaptitude, mais plutôt comme indiquant que la personne sera plus à l’aise dans un autre groupe. Dans tous les cas, il s’agit de mettre en place un ensemble d’outils – des objets, des symboles, des textes – permettant de maîtriser l’énergie du cosmos dans une approche qui se veut « science » de l’occultisme.
Quid de cette énergie ? Contrairement au vaudou « classique », le sacrifice animal est rarement mentionné dans le système de Bertiaux, par contre l’énergie sexuelle ou « radioactivité », ainsi que l’énergie provenant de « sources cosmiques se situant au-delà des planètes connues », occupent une place importante dans les rituels.
« L’une des techniques conseillées par le Monastère des Sept Rayons, est celle consistant à se visualiser comme entouré de créatures si horribles qu’elles empêchent toute attaque de la part d’entités de l’espace intérieur. Quand le magicien s’emplit d’énergie pendant le rituel ou durant ses méditations nocturnes, il attire ce que Bertiaux appelle des « vampires négatifs » – les esprits des morts. Il est vital, dit-il que l’adepte apparaisse comme fort et imperméable sur les plans de l’astral – et c’est pour cette raison qu’il doit étendre par l’imagination le cercle magique de son temple afin que celui-ci devienne une sphère psychique puissante gardée aux huit points par les différents loas du vaudou. Pendant qu’il se transforme par le biais de l’imagination astrale en une tarentule-garou et se prépare à diriger son vaisseau spatial vers les régions du terrain cosmique intérieur. Tel un sorcier-araignée, ou magicien-araignée, écrit Bertiaux dans des documents de l’ordre, « vous avez tissé votre toile en trouvant votre propre force magique aux huit sources de l’énergie cosmique. Ainsi, l’énergie cosmique rencontre l’énergie divine ».
Bertiaux explique ensuite dans le contexte plus vaste du rituel vaudou : « chaque fois que nous entreprenons une cérémonie, nous participons, d’une manière ou d’une autre, à la conscience de dieu ou à l’énergie qui se tient derrière la cérémonie elle-même. Je pense qu’il s’agit là d’une possession, sans aucun doute, qui représente la voie par laquelle les dieux se manifestent au niveau de l’expérience humaine. »
« Le Vaudou et le Gnosticisme œuvrent tous deux par le nombre huit, car il s’agit là d’un pouvoir très important. Dans le Vaudou, il est représenté par le symbole mystique de l’araignée et de son espace, l’espace de la divinité. Il représente la voie par laquelle l’esprit du prêtre se connecte avec toutes les possibilités du monde de l’espace et du temps. Pour que le magicien puisse atteindre à un certain état de puissance, il doit devenir cet être afin de recevoir médiumiquement, les pouvoirs du dieu dissimulés dans la forme animale ».
Et donc, comment le temple devient-il concrètement un « vaisseau spatial » et comment le magicien-araignée agit-il en son sein ? « Le Temple est un vaisseau spatial, car c’est un moyen de se mouvoir au travers de différents espaces de la conscience. En fait, les gestes rituelliques sont destinés à construire le véhicule sphérique qui a pour finalité les activités dans d’autres mondes. Le prêtre est une araignée, car ce qu’il fait, en réalité, c’est placer les expériences d’autres mondes au coeur de sa propre existence, puis se joindre, par le biais de la toile de sa conscience, aux différentes composantes de l’expérience spirituelle.
À chaque fois qu’il fait quelque chose – un geste, un mot, un mouvement – il connecte, en un certain sens, sa toile, son réseau à quelque chose en dehors de lui. Ce qu’il fait c’est se connecter à ces mondes et ces dimensions ».
Cependant, dans cette forme particulière de vaudou pratiquée par les membres du Monastère, se trouve également quelque chose qui tient du marchandage magique. Ainsi que les documents de l’ordre l’expliquent clairement, certaines entités peuvent pénétrer la toile protectrice et aspirer la force de vie du magicien en paiement des pouvoirs occultes accordés. Invoqués par l’excitation sexuelle du magicien, les esprits « descendent en son corps » en aspirant la vitalité de l’esprit et la remplaçant par un pouvoir psychique. C’est là une méthode pleine de dangers, car c’est le principe même de la possession par un esprit qui laisse l’occultiste – au moment de la reddition mentale – ouvert à l’influence de toutes sortes de forces occultes. Ainsi Berthiaux prévient ses étudiants : « Cet échange occulte fournit-il une compensation suffisante à celui qui doit se sacrifier lui-même aux appétits nocturnes les plus pervers ? » [2]
Par ces pratiques, Bertiaux cherche à comprendre le « Meon », ou « univers B », une zone de « non-être » qui est comme une réalité en miroir de ce que nous connaissons. Cette réalité alternative n’est pas menaçante en soi, mais lorsqu’elle rencontre notre univers, se créent des zones d’incertitude, qui, selon Bertiaux, peuvent conduire à l’émergence de ce que nous identifions comme étant le Mal. Ainsi, toujours selon Bertiaux, Lovecraft aurait remarqué cet antagonisme, mais sans comprendre sa véritable source. Pour notre adepte du voudon, il s’agit donc d’explorer la nature de cet univers éthérique, mais également de se prémunir contre les collisions que des magiciens ne comprenant pas le système pourraient involontairement provoquer.
L’œuvre de Bertiaux fait également porter l’accent sur le versant créatif de la magie. Lui-même a signé de nombreuses œuvres, notamment des peintures utilisées comme des outils magiques et des passerelles. Son travail a non seulement fortement influencé les cercles occultes contemporains, comme ceux de la Chaos Magic, et des individus tels que Kenneth Grant, mais également des musiciens et des artistes.
En juillet 2010, après de longues années de silence éditorial, vient de sortir le nouvel ouvrage de Michael Bertiaux chez Fulgur Press : Vudu Cartography, qui explore l’univers du vaudou par le biais de 130 images symboliques.
Logo de la Société Voudon Gnostique de David Beth.
Michael Bertiaux, Melmothia & Spartakus FreeMann, 2010
Notes :
[1] The Necronomicon Files : The Truth Behind The Legend, Daniel Harms & John Wisdom Gonce III, Red Wheel / Weiser, 2003.
[2] « An Interview with Michael Bertiaux », Neville Drury, sur le site Ordo Templi Orientis Antiqua & La Couleuvre Noire.
Sources :
« Michael P. Bertiaux », par David Beth, sur le site Fulgur Limited.
The Necronomicon Files : The Truth Behind The Legend, Daniel Harms & John Wisdom Gonce III, Red Wheel / Weiser, 2003.
« Michael Bertiaux », Wikipedia.
Site officiel de Michael Bertiaux.
« An Interview with Michael Bertiaux », Neville Drury, sur le site Ordo Templi Orientis Antiqua & La Couleuvre Noire.